Valérie Fayard (Emmaüs France): "Les plateformes de seconde main poussent à la surconsommation" #416

03/06/2022

La seconde main compte parmi les solutions adoptées par les Français pour réduire leur impact sur la planète. Mais cette alternative n’est pas sans conséquence sur l’activité de certaines associations caritatives comme Emmaüs, l’un des pionniers de l’occasion solidaire. Valérie Fayard, directrice générale déléguée d’Emmaüs France, revient sur les effets du déploiement de ces plateformes, que ce soit sur les dons ou la surconsommation.

Emmaüs est l’un des pionniers de la seconde main en France. Pouvez-vous revenir sur les origines de cette activité?

Valérie Fayard : La récupération de produits d’occasion est un vecteur d’insertion pour des personnes qui sont exclues. Il s’agit d’une activité au service d’un projet social, et elle est donc fondamentale. Emmaüs est bien un précurseur puisque ce projet est né il y a 70 ans. Il est d’autant plus difficile d’observer les bouleversements qui s’opèrent aujourd’hui sur le marché de la seconde main. L’idée de base du mouvement Emmaüs est d’accueillir des gens en grande difficulté […].

Que représente la seconde main pour Emmaüs en termes de ressources et d’emplois? 

Valérie Fayard :La seconde main, c’est environ 200 millions d’euros de chiffres d’affaires par an, et c’est du travail pour environ 7.000 compagnons, et 8.000 salariés chaque année. Il est donc question de près de 15.000 personnes qui peuvent retrouver une place dans la société grâce à la récupération. C’est très important, d’autant plus que notre objectif est de permettre à ces personnes de retrouver autonomie et dignité à travers le travail.

Les études sont unanimes sur le fait que les Français se tournent progressivement vers les plateformes d’occasion. L’impact est-il positif ou négatif pour Emmaüs? 

Valérie Fayard : Dans l’absolu, c’est bien évidemment une bonne chose. Il vaut mieux acheter un T-shirt d’occasion qu’un T-shirt neuf, car les impacts environnementaux sont sans commune mesure. On est très contents que les Français adoptent ce réflexe, mais cela pose aussi certains problèmes. Certaines plateformes de seconde main, et elles ne s’en cachent pas, incitent les consommateurs à acheter des produits neufs en leur disant que s’ils ne conviennent pas, ils pourront les revendre facilement. Il s’agit clairement de les pousser à la surconsommation, et non à une consommation responsable. Le tout sous couvert d’économie circulaire. C’est devenu une frénésie pour certains, qui n’arrêtent plus d’acheter et de revendre. Dans ce cas, ce n’est pas forcément une bonne chose.

Est-ce qu’il y a également un impact sur les dons?

Valérie Fayard : Oui, bien sûr, c’est un vrai sujet pour Emmaüs. Le fonctionnement de notre modèle repose sur le don d’affaires – vêtements ou objets – de bonne qualité, car c’est précisément ce qui rapporte de l’argent. Si les gens se tournent en priorité vers les plateformes de seconde main, ils ne vont donner que ce qui n’aura pas été vendu, voire des affaires de mauvaise qualité. Chez Emmaüs, cela signifie que la part du recyclage va augmenter au détriment de la part du réemploi, et notre équilibre économique en sera forcément bouleversé.
Pour bien comprendre, il faut savoir que sur cent produits, soixante étaient réutilisés il y a 20 ans, le reste allant en recyclage. Aujourd’hui, seulement quarante-cinq produits sont réutilisés… C’est une baisse considérable, un réel bouleversement. Nous recevons désormais plus de dons, mais de mauvaise qualité. C’est terrible pour notre modèle, mais aussi sur le plan sociétal, car cela signifie que tout est marchandisé.

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