"Revenge shopping" ou développement durable : le grand dilemme #174

26/04/2021

Cette semaine, la dissonance entre le marketing de la Journée de la Terre et la résurgence de la consommation a montré clairement que les promesses de durabilité de la mode et ses ambitions de croissance sont sur une trajectoire de collision.

La semaine dernière, les magasins anglais ont rouvert devant des files d’attente interminables, permettant à des magasins comme Primark de réaliser des ventes record. Aux États-Unis, les enseignes embauchent en masse en prévision d’un rebond important, tandis qu’une forte relance de la demande en Chine continue de soutenir le marché.

Certaines marques en récoltent déjà les fruits. LVMH a vu les ventes de sa division mode bondir de 37 % au premier trimestre par rapport aux niveaux pré-pandémiques de 2019, tandis que le chiffre d’affaires d’Hermès a bondi de 33 %. Anna Wintour a été l’une des dernières à prédire des « années folles » dans une interview accordée au Financial Times cette semaine, citant des « files d’attente autour du bloc » dans les magasins Gucci et Dior rouverts à Londres.

Il reste à voir si la demande restera aussi élevée, mais une chose est de plus en plus claire : les promesses de durabilité de la mode et ses ambitions de croissance sont sur une trajectoire de collision.

La quantité de produits que le secteur fabrique génère déjà des millions de tonnes de surplus chaque année, à tel point que même avant la pandémie, seuls 60 % des vêtements étaient vendus au prix fort. Il s’agit à la fois d’un symptôme et d’une cause de la culture actuelle de surconsommation dans le secteur de la mode, et cela se répercute sur pratiquement tous les défis environnementaux auxquels le secteur est confronté, qu’il s’agisse des émissions de ses usines, des produits chimiques polluants utilisés pour la teinture et le traitement des matériaux ou des retombées corrosives de l’ensemble du système sur la nature.

 

Dans de nombreux cas, le « marketing durable » alimente le problème. D’un point de vue marketing, il s’agit d’un mélange enivrant de facteurs de bien-être : le plaisir d’un nouvel achat associé à celui d’une bonne action. Ironique, lorsque l’on comprend qu’il ne faudrait justement pas consommer pour sortir de cette crise.

Certes, certaines marques ont axé le message de la Journée de la Terre de cette semaine sur ce qu’elles font réellement pour résoudre les problèmes de durabilité, plutôt que sur les produits qu’elles vendent. Et le fait d’orienter les consommateurs vers des articles et des marques qui font des efforts pour réduire l’impact de la mode sur l’environnement jouera certainement un rôle dans toute solution, ce qui incitera l’ensemble du secteur à s’engager dans cette voie.

Farfetch n’a pas révélé quelle proportion de la valeur globale des produits vendus sur sa plateforme entrait dans cette catégorie. À long terme, l’entreprise s’est engagée d’ici 2030 à ne stocker que des produits qu’elle juge durables et évalue actuellement un produit sur dix sur sa plateforme comme tel.

Mais même si de plus en plus de marques font la promotion de produits qu’elles prétendent meilleurs pour la planète, l’industrie avance beaucoup trop lentement selon l’indice de durabilité BoF. Comme le note Pierre Mallevays dans sa chronique pour BoF ce mois-ci, « il existe une tension profonde entre ce qui est bon pour le monde et ce qui est bon pour les actionnaires. » Il s’agit d’un problème épineux, rendu encore plus épineux par les difficultés financières que le secteur a connues l’année dernière.

Déjà, les revendications exagérées en matière de durabilité font l’objet d’examen minutieux. Aux États-Unis, un groupe de marques et de défenseurs de la durabilité se sont regroupés pour signer une lettre qu’ils prévoient d’envoyer à la Commission fédérale du commerce pour lui demander de revoir les directives régissant ce type de marketing.

La réglementation peut contribuer à limiter le greenwashion, mais pour relever les défis du secteur, il faudra un engagement et des investissements à long terme dans les nouvelles technologies, des changements culturels pour encourager les consommateurs à réutiliser et à recycler leurs vêtements et de nouveaux modèles commerciaux garantissant que le prix des vêtements correspond à leur coût réel et que la santé financière des marques ne dépend pas entièrement d’une consommation sans cesse croissante.

Une chose est sûre : acheter un nouveau jean pour marquer la Journée de la Terre ne changera rien. Bien au contraire.

Business of Fashion