Qu'est-ce que le "green hushing" ? #691

13/03/2023

Le greenwashing fait désormais partie de notre lexique moderne. Il existe désormais un nouveau terme, le « green hushing », qui désigne le fait pour une entreprise d’être trop discrète sur ses réalisations.

Le greenwashing – terme désignant les entreprises qui exagèrent leur engagement en faveur du développement durable – est désormais fermement ancré dans notre lexique moderne. Les affirmations écologiques sans fondement attirent l’attention du public et parfois l’indignation, sans parler des poursuites judiciaires, comme celles intentées contre des entreprises telles que Dasani, Kroger et Whole Foods.

Face à la menace d’une réputation ternie et de problèmes juridiques, certaines entreprises choisissent de ne pas communiquer sur leurs objectifs climatiques, ce qui les prive de toute publicité et empêche les autres entreprises de s’inspirer de leur succès. Un nouveau terme est apparu pour désigner cette pratique : le « green hushing ».

Qu’est-ce que le « green hushing » ?

Le « green hushing » désigne les entreprises qui gardent délibérément le silence sur leurs objectifs de développement durable, même s’ils sont bien intentionnés ou plausibles, de peur d’être étiquetées comme des « greenwashers » (laveurs de verdure).

Xavier Font, professeur de marketing du développement durable à l’université de Surrey au Royaume-Uni, définit cette pratique comme suit : « la minimisation délibérée des objectifs de développement durable d’une entreprise, même si elle est bien intentionnée ou plausible : « la minimisation délibérée de vos pratiques en matière de développement durable, de peur qu’elles ne fassent passer votre entreprise pour moins compétente ou qu’elles n’aient des conséquences négatives pour vous ».

Depuis combien de temps ce terme existe-t-il et est-il courant ?

Depuis au moins 2017. Font n’avait vu ce terme qu’une seule fois avant d’étudier la pratique de plus près cette année-là. Et pour quelque chose dont beaucoup d’entre nous n’ont peut-être pas entendu parler, la pratique est assez répandue. « L’écoblanchiment est très visible », explique M. Font. « L’écoblanchiment, par définition, ne l’est pas. [Mais je pense que l’écoblanchiment est une pratique beaucoup plus répandue qu’on ne le pense.

Ce phénomène a été plus largement couvert après octobre 2022, lorsque la société suisse de conseil en finance carbone South Pole a mis en évidence la tendance à l’écoblanchiment dans un rapport. Il a noté que près d’un quart des 1 200 entreprises ayant un responsable du développement durable ne publient pas leurs réalisations « au-delà du strict minimum ». (C’est en Belgique que le taux est le plus élevé, avec 41 % des entreprises ayant des objectifs climatiques scientifiques qui ne les publient pas). Le rapport qualifie cette tendance de « préoccupante », car la publication d’actions vertes a le pouvoir d’inspirer les autres, de faire évoluer les mentalités et d’encourager les approches collaboratives.

À quoi cela ressemble-t-il dans la pratique ?

Dans son étude, M. Font, qui se concentre sur l’industrie du tourisme, a constaté que les entreprises ne communiquaient pas leurs succès environnementaux aux consommateurs, ce qui est particulièrement étrange dans un secteur où les occasions de le faire sont nombreuses, comme dans les hôtels ou sur les sites web.

L’étude s’est concentrée sur 31 petites entreprises de tourisme rural dans le parc national du Peak District, en Angleterre. M. Font a constaté que les entreprises ne communiquaient que 30 % de leurs actions en matière de développement durable. Il a noté que les entreprises craignaient qu’en diffusant leurs pratiques en matière de développement durable, les clients pensent que leurs vacances seraient moins bonnes.

L’un des problèmes, selon lui, est que de nombreuses entreprises ne savent pas quand annoncer leurs réalisations. Un hôtel avec lequel il a travaillé et qui s’approvisionnait en fruits de mer durables ne savait pas s’il devait l’annoncer au moment du lancement, lorsque la moitié de ses hôtels l’utilisaient ou lorsque tous les hôtels l’utilisaient. « Si 50 % de ma chaîne d’approvisionnement fait quelque chose, lui a-t-on demandé, est-ce un message crédible à communiquer au monde entier ?

Dans le même ordre d’idées, M. Font mentionne les réactions négatives des supermarchés qui étiquetaient les bananes comme étant issues du commerce équitable, car les clients demandaient alors pourquoi d’autres produits n’étaient pas issus du commerce équitable. « De nombreuses entreprises choisissent de ne pas en parler, de peur que les clients ne voient le verre à moitié vide et non à moitié plein », explique-t-il.

Pour les grandes entreprises, il existe des motivations juridiques qui les poussent à ne pas rendre compte de leurs activités de manière exhaustive. Ces dernières années, des poursuites ont été engagées contre Dasani pour avoir affirmé que ses bouteilles d’eau étaient recyclables à 100 %, et contre Kroger pour avoir affirmé que sa crème solaire était « respectueuse des récifs ». La répression de ces fausses allégations – comme l’omniprésente mention « d’origine locale dans la mesure du possible » – est une bonne chose, estime M. Font. C’est un peu comme si je disais : « Je suis un bon mari chaque fois que c’est possible ». « Cela n’a aucune valeur.

Quelles sont les autres forces en jeu ?

Comme en Europe, les entreprises américaines subissent la pression des groupes de défense de l’environnement pour qu’elles cessent de faire de l’écoblanchiment. Mais aux États-Unis, les entreprises doivent aussi s’inquiéter de l’autre côté de la médaille, car la crise climatique et la gouvernance environnementale et sociale (ESG) sont de plus en plus politisées.

Plusieurs États, notamment la Floride, sont en train de désinvestir des milliards de dollars de BlackRock parce que cette société a développé des portefeuilles ESG solides. « Nous constatons que les attaques sont plus irrationnelles et plus féroces », déclare Peter Seele, professeur de responsabilité sociale des entreprises et d’éthique des affaires à l’Università della Svizzera Italiana, en Suisse. Les entreprises ont donc une raison supplémentaire de rester silencieuses, sous peine d’être la cible de tirades « anti-éveillées ».

Cette polarisation est troublante, dit M. Font, et s’infiltre dans les croyances des clients, ce qui oblige les entreprises à être sensibles à la culture des marchés sur lesquels elles opèrent. Si j’étais une entreprise américaine, au service d’un large éventail de clients, je minimiserais le « mot en S » », dit-il en faisant référence à la durabilité. L’entreprise peut vouloir présenter une pratique durable comme une pratique bénéfique pour les clients d’une autre manière.

« Aux États-Unis, nous sommes tout simplement plus litigieux », explique Anant Sundaram, professeur de commerce et de changement climatique à l’université de Dartmouth. « Vous dites quelque chose dans votre 10K, ou vous publiez un document, [et] cela devient immédiatement la base d’un procès ». Les entreprises américaines ont donc tendance à préférer rester sous le radar et sont un peu timorées.

Qu’est-ce qui pourrait réduire le « green hushing » ?

Les rapports sur le climat sont désormais monnaie courante dans les pays développés. Les informations sur les risques climatiques, les mesures d’atténuation et les stratégies durables que les entreprises soumettent aux agences gouvernementales sont accessibles au public. Mais la plupart du temps, ces informations sont volontaires, ce qui permet aux entreprises de se taire.

Les entreprises restent relativement discrètes sur la plupart de leurs données climatiques. Aux États-Unis, un rapport a révélé que si 71 % des entreprises du S&P 500 déclarent leurs émissions de gaz à effet de serre, seules 28 % des petites entreprises le font. En outre, seules 15 % des entreprises du S&P 500 publient des informations sur la biodiversité et la déforestation, et 12 % sur les risques liés à l’eau.

Mais l’information du public va bientôt changer. Dans l’Union européenne, la publication d’informations sur le climat deviendra obligatoire en 2025, et ce pour un plus grand nombre d’entreprises qu’auparavant. Aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission vise à mettre en place des réglementations plus strictes pour 2024 (qui concerneront dans un premier temps les grandes entreprises cotées en bourse, dont la capitalisation boursière est d’au moins 700 millions de dollars). Cette application plus stricte pourrait donner aux entreprises moins de choix pour pratiquer l’écobuage.

Quelles sont les conséquences  ?

Ce n’est pas la solution idéale. Comme l’indique le rapport suisse, les entreprises qui discutent de leurs actions en faveur du climat peuvent avoir des retombées positives et susciter des changements. Mais ce n’est pas le cas si elles restent silencieuses.

Les mesures de répression de l’écoblanchiment sont utiles, mais pas si elles sont appliquées sans discernement. Selon M. Seele, il existe une tendance à attaquer les entreprises, quelles que soient leurs actions ou leurs intentions, ce qui a donné naissance à une nouvelle expression dans les médias allemands : « greenwashing truther » (vérificateur de l’écoblanchiment) : « greenwashing truther », pour les personnes qui lancent ce genre d’accusations.

En France, de nouvelles lois sur l’écoblanchiment prévoient des amendes pour les entreprises qui font des déclarations trompeuses, comme la neutralité carbone. Bien que bien intentionnées, ces lois pourraient servir à réduire l’écoblanchiment mais à renforcer l’écoblanchiment.

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