Quand "nouveauté" s'accorde avec seconde main #196

11/06/2021

Aujourd’hui, une jeune génération soucieuse de l’environnement, adopte et popularise une autre idée de la nouveauté : acheter des objets nouveaux pour eux, mais qui ont déjà appartenu à quelqu’un d’autre, et qu’ils peuvent revendre rapidement en ligne. L’accord entre Etsy et Depop témoigne de l’essor de l’économie de l’occasion.

Depuis les décennies qui ont suivi l’avènement de la consommation de masse, jusqu’à aujourd’hui, les acheteurs ont developpé une facination pour la nouveauté. Les usages économes, tels que la couture, sont tombés en désuétude et nous avons atteint l’apogée de l’ère du jetable depuis le développement de la « fast fashion ». Aujourd’hui, une jeune génération soucieuse de l’environnement, adopte et popularise une autre idée de la nouveauté : acheter des objets nouveaux pour eux, mais qui ont déjà appartenu à quelqu’un d’autre, et qu’ils peuvent revendre rapidement en ligne.

Cette semaine, une transaction de 1,6 milliard de dollars a illustré cette tendance. Etsy, une entreprise en ligne américaine spécialisée dans les produits vintage ou faits main très populaire auprès des millennials – l’âge médian des vendeurs est de 39 ans – rachète Depop, une application de mode d’occasion. Près de 90 % des utilisateurs actifs de Depop appartiennent à la génération Z, c’est-à-dire aux moins de 26 ans. Cette opération est aussi un signe de la façon dont la pandémie a accéléré le changement de consommation – les revenus des commissions de Depop ont plus que doublé l’année dernière pour atteindre 70 millions de dollars – et l’a étendu aux générations plus âgées.

Les achats, de ce que l’industrie de la mode surnommé les vêtements « pré-aimé », peut être un moyen de mettre la main sur un Gucci ou un Burberry à une fraction du prix d’origine. Il combine le frisson de la bonne affaire avec le désir d’individualité (en achetant un vêtement vintage plutôt qu’un vêtement de la gamme actuelle, il est moins probable de croiser quelqu’un d’autre portant la même chose) suppléé d’une action positive en faveur de l’environnement. Depop, comme certains de ses concurrents, ajoute un élément social moderne à son offre. Il permet aux vendeurs de créer des sélections de vêtements, devenant ainsi leur propre boutique en ligne, et leur permettant d’attirer un grand nombre d’adeptes.

Il résulte de ce changement de paradigme, une croissance rapide de l’économie d’occasion ou « circulaire ». Il s’agit finalement d’une forme d’économie de location : les vêtements ne sont pas tant possédés que loués pour être ensuite transmis. Comme l’a noté McKinsey, il existe des parallèles avec le passage de l’achat de CD et de DVD à la location ou à l’abonnement à des contenus de Spotify ou Netflix. Le dernier rapport annuel sur la revente de ThredUp, un autre site de vêtements d’occasion, prévoit que le marché américain total de la revente de vêtements d’occasion pourrait passer de 28 milliards de dollars en 2019 à 64 milliards de dollars en 2024.

Cela pose des dilemmes stratégiques, notamment pour les marques de luxe. Certaines ont évité de s’impliquer dans la revente, craignant d’éroder leur cachet et leurs marges. L’économie de l’occasion étant plutôt un phénomène propre aux marchés de consommation matures, cette tendance risque de rendre les grandes marques encore plus dépendantes de marchés tels que la Chine pour la croissance de leurs ventes au prix fort. Pourtant, la revente de leurs produits peut leur permettre de mieux contrôler leur marque et la circulation de contrefaçons. Comme l’a montré Stella McCartney dans le cadre d’un partenariat avec The RealReal, cette stratégie peut également permettre de renforcer la responsabilité sociale d’une marque.

Patagonia, The North Face et d’autres acteurs de la monde ont déjà commencé à vendre des vêtements usagés et réparés, collectés auprès de leurs clients. Mais cette tendance touche les détaillants bien au-delà de l’habillement. Ikea a lancé un programme de rachat et de revente de meubles, offrant aux clients des bons à dépenser en magasin s’ils retournent des articles usagés. Aux Pays-Bas, en Suède et en Suisse, Ikea teste le leasing comme mode de paiement. Lorsque les acheteurs louent non seulement des vêtements, mais aussi les armoires dans lesquelles ils les rangent, cela reflète peut-être l’évolution la plus profonde du consumérisme depuis la naissance des achats en ligne.

Financial Times