Pourquoi la mode ignore-t-elle encore les microfibres ? #661

06/02/2023

La perte de microfibres se produit à presque toutes les étapes du cycle de vie d’un vêtement, causant des dommages aux humains et à la planète. Mais ses impacts sont encore souvent négligés, selon un nouveau rapport du Forum for the Future.

L’un des impacts les plus importants de la mode sur la planète est largement invisible et le secteur ne fait pas assez pour s’y attaquer, selon un nouveau rapport de l’organisation à but non lucratif Forum for the Future, soutenu par l’Ocean Innovation Challenge du PNUD. Tackling Microfibres at Source (Combattre les microfibres à la source) espère inciter l’industrie à prendre des mesures pour lutter contre la perte de microfibres et réduire la pollution à un stade plus précoce du processus de conception.

Le rapport contient plusieurs recommandations, dont un système de traitement des eaux usées plus robuste, des innovations en amont pour réduire la consommation d’eau, d’énergie et de produits chimiques, et la réduction de l’impact de la teinture et de la thermofixation, qui semblent contribuer de manière significative à la perte de microfibres au stade de la fabrication. Toutefois, cette étude soulève autant de questions qu’elle n’apporte de réponses : quels sont les facteurs qui ont le plus d’impact sur la perte des microfibres ? Qui doit supporter le coût et la responsabilité du changement ? Les microfibres naturelles et synthétiques ont-elles les mêmes impacts sur la santé humaine et planétaire ?

« Dans notre secteur, les solutions techniques semblent offrir les réponses les plus attrayantes et les plus pratiques », a déclaré Keith Ma, directeur stratégique du partenaire industriel du rapport, Ramatex Group. « Ce que ce projet a montré, c’est que les problèmes complexes nécessitent une action collective et une collaboration entre de multiples parties prenantes. » La façon dont ces parties prenantes interagissent les unes avec les autres – en particulier les marques et leurs milliers de fournisseurs – constitue un obstacle majeur au progrès.

La recherche indique que les microplastiques sont nocifs pour la santé humaine et marine, bien que l’étendue de son impact ne soit pas encore totalement appréhendée, indique Forum for the Future. « Des microplastiques ont été trouvés au fond de la fosse des Mariannes – le point le plus profond des océans du monde – ainsi qu’au sommet du mont Everest », explique Philippa Grogan, consultante en durabilité du cabinet de conseil en stratégie Eco-Age. « On en a trouvé dans le lait maternel et les tissus pulmonaires, dans notre alimentation et même dans le sel. Comme les microfibres peuvent se retrouver dans les boues agricoles, certains rapports suggèrent qu’il y a quatre à 23 fois plus de pollution microplastique dans le sol que dans la mer. Elles sont omniprésentes et tellement dangereuses ».

Malgré une prise de conscience croissante du problème, il existe encore de nombreuses lacunes dans la compréhension des microfibres par l’industrie, notamment en ce qui concerne les facteurs qui influent sur la perte de microfibres au stade de la production et les implications potentielles de l’ingestion de microfibres sur la santé humaine et écologique. En outre, le financement de ces recherches est limité, explique Sophie Mather, directrice fondatrice du Microfibre Consortium (TMC), qui a aidé le Forum pour l’avenir à produire son rapport. « Plus la complexité du sujet augmente, plus les besoins de financement augmentent également. »

Même la définition des microfibres par rapport aux microplastiques peut prêter à confusion. La définition de l’industrie textile d’une microfibre est une fibre synthétique dont la densité linéaire est inférieure à un denier, mais le terme a une signification légèrement différente lorsqu’il est lié à la perte involontaire et à la pollution. Dans ce contexte, le TMC ne définit pas les microfibres par leur taille ou leur type. Pour éviter toute confusion, elle préfère le terme « fragment de fibre ». Un microplastique est plus spécifique : il s’agit d’un petit morceau de débris plastique qui mesure 5 mm ou moins. Les fragments de fibres synthétiques sont généralement classés parmi les microplastiques. Dans le rapport du Forum pour l’avenir, les microfibres font référence aux fibres naturelles et synthétiques.

Jusqu’à présent, les conversations autour de la fragmentation des fibres se sont concentrées sur les microplastiques plutôt que sur les microfibres en général, explique M. Mather. « Le plastique suscite beaucoup d’inquiétude en ce moment, mais l’ampleur de la production de fibres naturelles signifie qu’elles seront également nuisibles à long terme », ajoute-t-elle. La quantité de traitements et de revêtements utilisés sur les fibres naturelles peut également les faire se comporter davantage comme des microplastiques, ajoute Mme Grogan d’Eco-Age. « Si les fibres naturelles ont été recouvertes d’un revêtement hydrofuge durable, elles se comporteront comme des microplastiques, ce qui affecte leur biodégradabilité. »

S’attaquer au problème

Plusieurs orientations de l’UE touchent à la fragmentation des fibres, notamment la méthodologie de l’empreinte environnementale des produits (PEF) qu’elle est en train d’élaborer, le nouveau règlement sur les microplastiques qui devrait être publié en mai 2023 et les principes d’écoconception prévus pour la fin 2024. La loi française relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire tente d’éduquer les consommateurs en rendant obligatoire l’apposition sur l’étiquette d’entretien des vêtements neufs contenant au moins 50 % de fibres synthétiques en poids (recyclées ou vierges) d’un avertissement concernant la perte de microplastiques. Au Royaume-Uni, un projet de loi sur les microplastiques est actuellement en deuxième lecture, et des mises à jour sont prévues ce mois-ci. Les militants espèrent obtenir du gouvernement qu’il rende obligatoire l’installation de filtres à microfibres sur tous les nouveaux lave-linge domestiques.

En théorie, ces textes législatifs fragmentés se rejoindront pour prendre en compte l’ensemble du cycle de vie d’un vêtement, explique M. Grogan. « Dans l’idéal, les principes d’éco-conception permettront d’éliminer la perte inévitable des vêtements, qui seront de meilleure qualité et dureront plus longtemps. Ensuite, à la fin du cycle de vie, les systèmes de responsabilité élargie des producteurs (REP) rendront les entreprises physiquement et financièrement responsables des déchets qu’elles produisent. Nous devons encore voir comment cela se passe, mais si le délestage des microfibres entrait dans le champ d’application de la REP, les marques pourraient être davantage contraintes d’effectuer des changements en amont, pour éviter d’avoir à payer en aval. »

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Accès au rapport du Forum for the future