Points forts et marges de progrès RSE des marques de mode françaises selon Paris Good Fashion et Climate Chance #709

06/04/2023

Où en sont les acteurs de la mode française face aux défis de transformation sur les plans social et environnemental? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre les associations Paris Good Fashion et Climate Chance dans une étude dévoilée ce 3 avril dans le cadre de l’Institut français de la mode à Paris.

Responsable, durable, recyclable, circulaire… les adjectifs s’égrainent comme autant d’injonction à la transformation des modèles économiques des entreprises de mode. Un impératif de changement, parfois noyé dans les annonces et les communications verdies, que l’industrie de la mode et du luxe française semble avoir pris en compte.

Cofondatrice de Paris Good Fashion, l’association qui réunit pas moins de 110 entreprises du secteur de la mode et du luxe, Isabelle Lefort concède qu’avec quelque 600 labels au niveau européen et des armées de consultants, « la RSE, c’est un peu le far west. Un espace en pleine révolution où il faut tout réinventer. Il y aura des morts mais aussi des réussites. »

L’étude s’appuie sur des confrontations de données et des entretiens avec des responsables de 24 grands groupes français de mode et de distribution comme Etam, LVMH, Kering, Chanel, Les Galeries Lafayette, Monoprix mais aussi Decathlon, Balzac, Kiabi ou le groupe Eram… Au total, ce sont 45 marques et 8 distributeurs, pesant au total plus de 70 milliards d’euros de ventes annuelles qui ont exposé aux auteurs de l’étude leurs avancées sur la responsabilité sociale et environnementale.

En confrontant les actions engagées et les stratégies sur ces sujets des grands groupes français, l’étude entend apporter une vision élargie de l’état d’avancement du secteur sur ce sujet. Un travail qui a permis notamment à Paris Good Fashion, présidée par Sylvie Bénard, et Climate Chance, cofondé par le sénateur Ronan Dantec, d’identifier les thèmes abordés par les entreprises et les champs d’amélioration, mais aussi de constater que l’analyse quantifiée n’était pas aisée, avec des périmètres et des considérations évoluant selon les organisations. Et qu’il est en réalité quasiment impossible actuellement d’évaluer l’impact de la mode en termes de gaz à effet de serre.

« L’une de nos propositions est de nous rapprocher de la recherche scientifique afin de pouvoir résonner sur les données les plus justes. Nous n’avons pas de temps à perdre, les effets du réchauffement climatique son visibles sur toute la planète, nous sommes alertés sur le cycle de l’eau et la biodiversité continue à s’effondrer, avance Sylvie Bénard, également ex-directrice RSE du groupe LVMH. Face à cela de plus en plus de réglementations se mettent en place. Il est de notre devoir d’agir au bon endroit, là où sont les impacts les plus importants, accélérer certains projets et en imaginer d’autres collectivement, c’est tout l’objet de cette journée et du rapport. ».

Pour les institutionnels, politiques, économistes et entrepreneurs qui sont intervenus durant cette journée, l’implication dans des solutions nouvelles de la part de l’industrie de la mode, et des actions sont nécessaires pour protéger la planète et les hommes, mais aussi pour permettre aux marques de mode et de luxe françaises de se préparer un avenir viable. En effet, alors qu’en France la loi Agec et d’autres commencent déjà à modifier les organisations des entreprises et leurs obligations, pas moins de 16 textes concernant le secteur sont en préparation au niveau européen. Une offensive sur l’encadrement des pratiques du secteur qui implique nombre de point liés à la responsabilité environnementale et sociale. « Face à une absolu absence de règles d’un acteur comme Shein, si vous voulez encore avoir des productions d’une marque européenne, il y a un besoin impérieux de ces normes qui vont protéger vos marques, estimait Raphaël Glucksman, député européen. Mais cela va évidemment avoir pour conséquence des changements profonds dans les organisations et les chaines de production. ».


La fin de non-recevoir dans les frontières européennes de produits pouvant être liés à des zones de guerre et d’esclavage n’est pas encore actée. Mais, pour l’homme politique, la puissance du marché de consommation européen représente un atout phare pour les Européens. Ainsi, pour les marques, un travail de fonds sur les modèles plus responsables et la sécurisation des partenaires de production et des process semblent être des points essentiels.

La bonne nouvelle de cette étude réside notamment dans le fait que les sociétés françaises font partie des plus sensibilisées aux questions environnementales et sociales. « L’une des particularités du secteur en France, c’est que nous avons quatre très grands groupes avec LVMH, Kering, Richemont et Chanel d’une part et des ETI et PME de l’autre. Malgré cela nous avons une très forte représentation familiale. C’est un avantage car ce ne sont pas des fonds de pension. Et quand il faut prendre une décision, cela se fait très rapidement », avance Isabelle Lefort.

Transparence, crédibilité et performance.

Alors quelles sont les priorités des groupes français? Aujourd’hui, la priorité reste de baisser leur impact climatique. Sur les 24 entreprises consultées 15 ont réalisé un bilan carbone, 18 se sont fixés des objectifs de réduction sur les scopes 1,2 et 3 (les émissions directes 1 et 2, ou issues de la chaine de valeur pour le scope 3) et 16 se sont dotées d’une stratégie de réduction des gaz à effet de serre précise.

« Ce qui nous intéresse, c’est la crédibilité des stratégies mises en place, explique Antoine Gillod, directeur de l’observatoire Climate Chance. Il y a un enjeu de la crédibilité de la stratégie de transition et de la performance des actions. Sur les 24 sociétés, 6 acteurs ont des plans de transition de court terme, à l’horizon 2030. En revanche le plus compliqué est d’avoir une vision de long terme. Beaucoup d’entreprises ont engagé des actions sur les scope 1 et 2, mais peu ont abordé le travail sur le scope 3. Pourtant c’est là que ce situe plus de 80% de l’empreinte carbone. ».

Les avancées sur les économies d’énergie dans les bureaux et les boutiques sont donc importantes, mais c’est à la transformation de l’ensemble de leur chaine de production que doivent s’atteler les organisations. D’autant que la consommation de vêtements a explosé en volume en un demi siècle.

Pour améliorer ces aspects, le deuxième axe majeur des sociétés est la transition vers une économie circulaire. Pour cela, 16 des 24 entreprises déclarent avoir développé l’éco-conception des produits, 17 avancent s’engager sur l’utilisation de fibres naturelles bio et elles sont autant à avoir recours à des fibres recyclées. Dans le domaine du recyclage, la journée de lundi a permis de rappeler les nouvelles contributions allouées à ReFashion, l’éco-organisme de la filière Textile d’habillement, Linge de maison et Chaussure et de souligner qu’il s’agit d’une exception française qui pourrait, si tous les acteurs s’investissent, constituer un avantage concurrentiel majeur dans la création de filière de recyclage des textiles et de la maîtrise des matériaux qui pourront naître de ces anciens vêtements collectés. Frank Gana, fondateur de (Re)set a ainsi glissé avoir identifié en collaboration avec Paris Good Fashion plusieurs acteurs internationaux qui pourraient installer des unités de production dans l’Hexagone.

Le travail de Climate chance et Paris Good Fashion pointe toutefois de larges champs de progression à débroussailler. Ainsi, en ce qui concerne les questions de l’eau et de la biodiversité, les actions sont encore limitées. Même si 15 sociétés ont pris des engagements de réduction de leur consommation d’eau mais encore peu prennent des engagements en ce qui concerne les rejets de microfibres synthétiques dans l’eau du fait de la production et transformation de textiles synthétiques. Sur le front de la biodiversité huit des 24 sociétés avancent avoir identifié les activités les plus impactantes et mis en place des mesures pour les réduire. L’étude souligne toutefois que « la première étape de prise en compte de l’impact de l’industrie textile sur la biodiversité nécessite d’examiner les effets complexes et multidimensionnels de chaque étape de sa chaîne de valeur sur différents écosystèmes,
allant des océans aux rivières, en passant par les forêts et les sols ».

L’utilisation de l’eau pour la production de coton ou la réalisation d’un jeans, mais aussi l’utilisation d’1,5 kg de pétrole pour obtenir 1 kg de fibre synthétique, posent nécessairement des questions. Le duo de chercheuses suédoises Sarah Cornell et Celinda Pam ont ainsi pointé du doigt que toutes les problématiques de l’utilisation des sols arables, de l’eau, du réchauffement climatique, de l’utilisation de phosphore, de la perte de biodiversité et de la présence de produits chimiques dans nos environnements, sont liés. Et ont invité à travaillé sur l’ensemble de ces points. Un ensemble qui a nécessairement des impacts sur l’humain. Tous les acteurs ayant participé à l’étude avancent respecter les droits européens et français. Mais la pression s’intensifie pour que la responsabilité soit élargie à l’ensemble de leur chaîne de valeur. Pour plusieurs intervenant de cette journée, les acteurs français devront mobiliser des capacités d’investissement pour investir dans leurs partenaires producteurs et ne pourront plus être de simples donneurs d’ordre.

Afin de donner des pistes de réflexion concrètes, les deux associations proposent en conclusion 21 actions à mettre en place. Celles-ci comportent des points forts comme « s’aligner avec l’objectif du Fashion Pact d’atteindre 100% d’énergies renouvelables d’ici 2030 dans les opérations propres » ou « Elaborer de nouveaux modèles d’affaires 100% circulaires, intégrant la rentabilité, l’écoconception, l’optimisation de la production » et « favoriser le déploiement d’une filière de recyclage complémentaire ». Mais aussi des points beaucoup plus accessibles pour des organisations de toute taille comme « contribuer aux travaux du Forum for the future contre la pollution des microplastiques », « généraliser l’usage des colis réutilisables » et bien sûr « s’engager collectivement autour des actions concrètes ».

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