« Pinkflation », quand la mode est plus chère pour les femmes #463

16/08/2022

Une récente étude démontre que les vêtements destinés aux femmes sont soumis à une inflation nettement plus forte que ceux des hommes. C’est la « pinkflation », une référence directe à la fameuse taxe rose.

Niveau sexisme, la saison estivale 2022 aura encore été un grand cru. Après avoir appris, dans les colonnes de Libération, que le dérèglement climatique exacerbe les violences conjugales, après avoir feint la surprise en constatant que, même l’été, la charge mentale des femmes ne prenait pas de vacances, ou après avoir eu recours à l’intelligence artificielle pour mesurer le fait que les personnages féminins sont quatre fois moins représentées que les hommes dans la littérature, voici venu le temps de la « pinkflation ».

Une inflation sans raison apparente

« Here we go again ! » Les plus alertes auront peut-être immédiatement saisi le sens de ce néologisme. Pour les autres, dites vous simplement que le capitalisme est d’un cynisme presque déconcertant. Une évaluation de NZZ am Sonntag, l’édition dominicale d’un quotidien germanophone zurichois, révèle en effet que la mode féminine est devenue, au fil des années, de plus en plus chère, alors que les prix des vêtements pour hommes et enfants n’ont guère évolué.

Concrètement, à l’orée du nouveau millénaire, les articles de mode « pour femmes » coûtaient 6,5 % de moins qu’aujourd’hui, alors que ceux destinés à la gent masculine n’ont quasiment pas subi de hausse des prix.

Référence directe à la « pink tax » (ou taxe rose, en français), une expression qui désigne une différence de prix genrée entre des produits et des services similaires s’effectuant aux dépends des consommatrices, « l’inflation rose » peine à s’expliquer. Ainsi, les vêtements pour femmes et pour hommes sont généralement fabriqués à partir des mêmes matières premières et dans les mêmes usines. De plus, le nombre très élevé d’acteurs en présence dans le secteur de la mode féminine devrait dissuader les marques de hausser les prix, respectant ainsi les sacro-saintes lois de l’offre et de la demande.

« Du point de vue de la concurrence, il n’y a pas de raison apparente pour que la mode féminine soit devenue plus chère, alors que ce n’est pas le cas pour la mode masculine et la mode enfant », explique Michael Kuhn, expert en thèmes de consommation chez Comparis, un service de comparaison des prix ayant participé à l’étude.

Une question d’apparence ?

Dès lors, comment justifier cet écart ? Serait-ce encore un coup de la fameuse « main invisible » d’Adam Smith ou, tout simplement, le fruit d’un malheureux hasard ? Pour le NZZ am Sonntag, l’explication est un poil plus rationnelle : « Les clientes réagissent de manière moins élastique aux augmentations de prix des articles de mode ». Les hommes, en revanche, « semblent plus enclins à renoncer parfois à l’achat ou à se tourner vers le produit le moins cher lorsqu’un vêtement augmente. C’est en tout cas ce que craignent les producteurs », développe le média suisse. En d’autres termes, l’industrie du textile spécule sur des modes de consommation genrés.

Interrogée par le NZZ, Dominique Grisard, chargée de cours au Centre d’études sur le genre de l’université de Bâle, estime que « les prix reflètent le fait que, dans notre société, les femmes attachent plus d’importance à la manière dont elles se présentent », un élément dont profite les commerçants.

Rappelons surtout que les contraintes qui pèsent sur les femmes concernant leur apparence sont beaucoup plus fortes que pour les hommes. Comme le précise le média en ligne spécialiste du travail et de l’emploi Welcome to the jungle, « une équipe de l’University of the West of Scotland (Écosse) a mis en avant la propension plus élevée des recruteurs (hommes comme femmes) à juger un candidat sur son apparence lorsqu’il s’agit d’une femme ». Or, soigner son look a un coût : budget coiffeur annuel tournant autour de 200 euros (contre 92 euros pour leurs homologues masculins), option maquillage quasi indispensable sachant que « plus de deux-tiers des employeurs admettent rechigner à l’idée d’embaucher une femme qui n’est pas maquillée » et, bien évidemment, la tenue ne fait pas exception. Tout ça pour être payées … 22 % de moins que leurs homologues masculins.

Usbek&Rica