Où en est-on de l'affichage environnemental dans la mode? #94

28/10/2020

A l’image du nutriscore dans l’alimentaire, l’affichage environnemental dans le secteur textile doit permettre de comparer deux vêtements équivalents en visualisant en coup d’œil lequel est le moins néfaste pour la planète. En février 2020, le ministère de la Transition Ecologique et Solidaire lançait une expérimentation à grande échelle en vue de le généraliser, via un système de notation s’échelonnant de A à E. Une initiative s’inscrivant dans le cadre de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), qui inclut également l’interdiction de détruire les invendus. Ce 22 octobre, une table ronde virtuelle du forum Fashion Green Days a proposé un point d’étape sur ces tests d’étiquetage environnemental, qui nécessitent un examen à la loupe à tous les niveaux de l’entreprise, de la matière première au transport des marchandises.

Ce principe d’affichage simple, par une lettre, cache en fait un référentiel assez complexe, baptisé ACV (analyse du cycle de vie). A l’heure actuelle, « 200 acteurs sont entrés dans une phase d’expérimentation qui doit se poursuivre jusqu’en août 2021 », introduit Thomas Ebélé, le fondateur de Sloweare (label de mode écoresponsable).
Outre l’information du client, ce dispositif doit surtout « inciter les fabricants et distributeurs à améliorer leur production », appuie Erwan Autret, coordinateur du pôle Service Produits et Efficacité Matière à l’Ademe (Agence de la transition écologique).Les produits avec les meilleures notes mis en avant en boutique »Ce processus nécessite de collecter de nombreuses informations, notamment auprès des fournisseurs, pour calculer les notes », poursuit Erwan Autret, ajoutant que les marques déjà engagées dans le mouvement peuvent partager leur expérience, comme Decathlon qui a développé un outil de calcul en interne.
Il existe aussi des entreprises qui proposent ce type d’évaluation, comme les logiciels d’analyse Spin It de Cycleco, ou EIME de Bureau Veritas. Les notes de A à E font ensuite l’objet d’une vérification par l’Ademe et ses délégateurs, à savoir l’Afnor et CD2E.
Cela fait déjà quatre ans et demi que le groupe ÏDKids (Okaïdi, Jacadi, Oxybul…) a débuté le projet d’étiquetage. Aujourd’hui, 500 de ses produits l’affichent, et le but est de couvrir à terme 100% des collections.
Pour la directrice RSE de la société, Séverine Mareels, ce projet résonne comme « la preuve d’engagement d’une entreprise, permettant de mobiliser les équipes produit vers une démarche d’écoconception. C’est un travail continu: il y a encore des choses à améliorer, on se rend par exemple compte que certains choix de conception – pourtant plus durables – ne sont pas visibles dans la note ». Son but est d’impliquer les salariés jusqu’aux équipes en magasins, qui vont être formées pour être en mesure d’expliquer au client pourquoi un produit affiche un A tandis que son voisin est affublé d’un E.
« L’objectif est que cette démarche infuse toute la culture d’entreprise, renchérit Raffaele Duby, en charge du développement durable pour l’offre et la conception chez Decathlon. Cela va nous permettre à terme d’éviter de mettre sur le marché de mauvaises propositions. » 3.600 produits de l’enseigne de sport possèdent un étiquetage environnemental (visible en magasin et sur le web), dont 90% du textile, le segment chaussure restant encore à couvrir. L’étiquetage aiguille par ailleurs la manière d’achalander les magasins. « Chez Decathlon, les différents pays choisissent leur assortiment de produits et certains décident de laisser plus de place aux articles écoconçus. Les produits A et B connaissent ainsi une belle augmentation de chiffre d’affaires dans certains marchés! »

Un produit plus durable n’est pas nécessairement plus onéreux
Pour Séverine Mareels, la crise sanitaire et la période de confinement ont accéléré la prise de conscience des consommateurs, qui ont fait du tri, et tendent vers le « moins mais mieux ». Elle note elle aussi « une augmentation des ventes concernant les produits écoresponsables, mais ce n’est pas toujours le cas selon les modèles. Certains freins esthétiques demeurent: un coton recyclé n’a pas la même finition qu’un coton conventionnel ou bio. Il faut encore travailler sur l’apparence de l’article. »
Raffaele Duby ajoute qu’il est parfois « plus difficile d’obtenir certaines couleurs avec certains produits écoconçus, mais les équipes de création parviennent à transformer des contraintes en atouts en trouvant de nouvelles solutions, parfois plus intéressantes ».
Sur la question du prix, tous deux sont d’accord pour affirmer qu’un produit plus durable n’est pas forcément plus cher. « Nous avons absorbé tous les surcoûts de l’écoresponsabilité, les produits écoconçus sont même en moyenne 2% moins cher que la gamme classique », certifie le responsable développement durable de l’offre Decathlon. Pour la chaîne, le prochain défi est d’amener le client vers la réparation et la seconde main. La capacité de réparer le produit va en effet prochainement s’additionner à l’affichage environnemental. Le graal – utopique? – du secteur serait donc à terme de ne proposer que des produits estampillés d’un A. Hélas, pour Séverine Mareels, à la différence du nutriscore dans l’alimentaire où l’affichage a un enjeu direct sur le bien-être et la santé du client, l’affichage dans l’habillement analyse « seulement » l’impact environnemental: « Nous aurons plus de mal à changer le comportement des clients. L’affichage doit surtout aider les entreprises à changer, sans culpabiliser le consommateur. C’est à nous de tous tendre vers le A pour que le marché se transforme réellement. »

Une étiquette obligatoire dans le futur?
A son terme l’an prochain, la phase d’expérimentation en cours fera l’objet d’un bilan transmis au Parlement. Ensuite, un décret définissant la méthodologie et les modalités d’affichage sera publié. Pour Erwan Autret, « l’objectif est encore loin d’être atteint. Le challenge est de mobiliser les entreprises à grande échelle: j’appelle les marques de toutes tailles à rejoindre l’expérimentation en cours. Pour que ce dispositif ne soit pas juste une usine à gaz. L’enjeu final, c’est tout de même de faire baisser l’impact environnemental de la filière textile. » A l’heure actuelle, il s’agit d’un affichage uniquement utilisé sur la base du volontariat, mais qui pourrait devenir réglementaire dans cinq ou dix ans sur le plan européen. Un travail similaire est en effet en cours à l’échelle du continent, dans le cadre de projet PEF Apparel (product environmental footprint) mené par la Commission européenne. L’Ademe, qui organise des groupes de travail sur le sujet, est en mesure de subventionner les entreprises qui portent un projet d’écoconception et d’utilisation de l’affichage environnemental, conclut Erwan Autret, incitant les entreprises à se saisir aussi des aides à l’écoconception annoncées par le gouvernement.

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