L'UE s'attaque au secret de polichinelle de la mode : la destruction des invendus #821

07/12/2023

L’Union européenne met un frein aux pratiques non durables dans le secteur de la mode en adoptant une série de nouvelles politiques.

C’est un secret de polichinelle dans le monde de la mode. Les invendus vont à l’incinérateur, les sacs à main excédentaires sont réduits pour ne pas être revendus, des produits parfaitement utilisables sont envoyés à la décharge pour éviter les remises et les ventes flash. L’Union européenne veut mettre fin à ces pratiques non durables. Lundi, elle a interdit la destruction des textiles et des chaussures invendus.

Il est temps de mettre fin au modèle « prendre, fabriquer, jeter » qui est si néfaste pour notre planète, notre santé et notre économie », a déclaré Alessandra Moretti, membre du Parlement européen, dans un communiqué. « L’interdiction de la destruction des textiles et des chaussures invendus contribuera à modifier la façon dont les fabricants de fast fashion produisent leurs marchandises.

Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un renforcement de la législation sur la mode durable, avec de nouvelles politiques sur l’écoconception, l’écoblanchiment et les déchets textiles qui entreront progressivement en vigueur au cours des prochaines années. L’interdiction de détruire les invendus fera partie des délais les plus longs : les grandes entreprises ont deux ans pour s’y conformer et les PME se sont vu accorder jusqu’à six ans. Il n’est pas encore clair si l’interdiction s’applique aux entreprises ayant leur siège dans l’UE ou à celles qui y opèrent, ni comment cette interdiction pourrait avoir un impact sur les régions en dehors de l’Europe. (NDLR: La destruction est déjà interdite en France, dans le cadre de la loi AGEC).

Pour beaucoup, il s’agit d’une décision bienvenue qui aborde indirectement les sujets controversés de la surproduction et de la décroissance. Les décideurs politiques ne disent peut-être pas directement aux marques de produire moins ou de limiter le nombre d’unités qu’elles peuvent produire chaque année, mais ils pénalisent celles qui produisent trop, ce qui est un pas dans la bonne direction, explique Philippa Grogan, consultante en développement durable chez Eco-Age. « C’est un pas dans la bonne direction, estime Philippa Grogan, consultante en développement durable chez Eco-Age. L’interdiction ne mettra pas fin à la surproduction à elle seule, mais on peut espérer qu’elle obligera les marques à être mieux organisées, plus responsables et moins gourmandes ».

Des clarifications à venir
Scott Lipinski, directeur général du Fashion Council Germany et de l’European Fashion Alliance (EFA), estime qu’il reste encore quelques points à éclaircir. L’EFA demande à l’UE de préciser ce qu’elle entend par « invendus » et « destruction ». Selon l’EFA, les biens invendus sont propres à la consommation ou à la vente (à l’exclusion des contrefaçons, des échantillons ou des prototypes). « Notre industrie est également fermement engagée dans le développement de nouvelles pratiques telles que le remanufacturing et l’upcycling, qui donnent une seconde vie aux produits invendus tout en permettant à la liberté créative de s’épanouir, et nous nous opposons fermement à toute interdiction qui mettrait un terme à ces pratiques ».

La question de savoir
La question du devenir de ces invendus, s’ils ne sont pas détruits, n’a pas encore trouvé de réponse. « Seront-ils expédiés dans le monde entier ? Seront-ils réutilisés en tant que stocks morts ou déchiquetés et recyclés en aval ? Les magasins d’usine disposeront-ils d’un stock abondant à vendre ?

Les grandes entreprises devront également indiquer combien de produits de consommation invendus elles jettent chaque année et pourquoi, une règle dont l’UE espère qu’elle permettra de freiner la surproduction et la destruction. L’EFA, qui fait pression sur l’UE au nom de l’industrie de la mode et de ses différents conseils européens de la mode, s’inquiète des répercussions sur la réputation des marques. « Compte tenu du risque d’une telle divulgation d’un point de vue commercial et concurrentiel, nous demandons qu’elle soit exclusivement fournie à la Commission ou à une autorité nationale compétente », déclare M. Lipinski.

Les chaînes d’approvisionnement pourraient-elles s’en trouver modifiées ?
Pour Dio Kurazawa, fondateur du cabinet de conseil en mode durable The Bear Scouts, c’est l’occasion pour les marques d’accroître l’agilité de leur chaîne d’approvisionnement et de se débarrasser du modèle de vente en gros sur lequel beaucoup s’appuient. « C’est le moment de soutenir des innovations telles que les précommandes et la fabrication à la demande », explique-t-il. « C’est l’occasion pour les marques de jouer avec l’IA pour comprendre l’avenir des prévisions. La technologie peut aider les marques à être plus attentives à ce qu’elles fabriquent, de sorte qu’elles aient moins d’invendus dès le départ. »

Mme Grogan est tout aussi optimiste quant à ce que cela pourrait signifier pour la mode durable en général. « C’est formidable de voir que cette proposition est plus ambitieuse que la proposition initiale de l’UE et qu’elle mentionne spécifiquement les textiles. Cela démontre la volonté des décideurs politiques de créer un système plus solide », déclare-t-elle. « L’interdiction de la destruction des invendus pourrait inciter les marques à repenser leurs modèles de production et, éventuellement, à mieux prévoir leurs collections.

L’une des questions en suspens concerne l’application de la loi. À maintes reprises, les marques ont invoqué le manque de transparence de la chaîne d’approvisionnement dans le secteur de la mode pour justifier leurs mauvais comportements. Selon M. Kurazawa, le défi de la nouvelle interdiction de l’UE consistera en partie à prouver que les marques détruisent leurs invendus, sans parler de la manière dont elles le font et de l’ampleur de la destruction. « Il est évident que quelqu’un sait ce qui se passe et où, mais l’UE le saura-t-elle ?

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