Li Edelkoort : l'antidote pour contrer la vitesse et la cupidité de la mode #334

14/02/2022

Selon Li Edelkoort, la prospérité de la mode doit passer par une refonte totale de son enseignement.

Alors que la vitesse et l’avidité ont fait perdre à la mode toute sa pertinence, le monde a maintenant besoin d’une refonte complète de ses systèmes éducatifs en matière de design. Prochainement, les restrictions liées à la crise climatique deviendront loi, déjà les jeunes générations refusent de céder à la consommation ostentatoire, les coûts de la surproduction et du business as usual doivent donc cesser.

L’opportunité doit mener à la grandeur et non à la rapidité. Même les vénérables maisons de luxe devront se plier aux nouvelles marées et adapter leurs pratiques, en mettant un frein à leurs objectifs de croissance systémique. Personne n’a besoin d’autant de choses qu’on le suggère actuellement, et les individus commenceront à réduire leurs possessions à mesure que la propriété ne sera plus considérée comme un phénomène à la mode. Notre objectif est de posséder moins, mieux conçu, et de réviser le diktat actuel du plus et du médiocre. Aucun être sensible ne devrait souffrir, et les gens devraient bénéficier d’une autre société, plus équitable.

Une histoire révélatrice

Peu de gens savent comment et pourquoi nous nous sommes égarés de la sorte, mais il n’y a pas si longtemps, la mode faisait les choses différemment. Le charme d’un vichy, la sobriété ou l’allure d’un prince de Galles dirigeaient artistiquement les vêtements, du preppy au business en passant par l’aristocratique. Le processus de sélection directif des tissus incluait le tissage de nouvelles qualités et la conception de jacquards uniques. Un motif pouvait devenir le signe iconique de son époque : voyez les carreaux de Burberry, les zigzag de Missoni et les fleurs de Marimekko. Il est important de noter que toutes ces maisons sont encore parmi nous, et ont survécu à des décennies de concurrence. Nourrir les textiles est une recette pour la longévité. […]

Un réveil brutal

Le stylisme est devenu une marchandise et ne se soucie plus guère des tissus utilisés, tant qu’il y a du volume de matière pour créer du volume monétaire, ce qui se traduit par un choix limité de denim, de molleton, de jersey et de flanelle, avec de temps en temps une fleur, une paillette ou une photo pour donner un air nouveau à ce qui est déjà vieux. C’est pourquoi le design de mode est en voie de disparition, souffrant de surproduction et de sous-créativité, ce qui conduit à un marché saturé de parachutages et de collaborations opportunistes, camouflant le manque total d’intégrité et d’initiative, où l’utilisation sporadique d’un jacquard devient une sensation TikTok du jour au lendemain. Nous avons atteint le point où nous ne pouvons plus parler de mode et devons aborder la marchandise simplement comme des vêtements.

L’éducation a largement participé à la disparition de la mode en fermant les départements de design textile, en négligeant la connaissance des tissus et en favorisant le croquis virtuel au détriment du drapage et du modélisme. Le stylisme est toujours là pour sauver la mise, mais il ne peut faire la différence sans les articles vintage qui racontent une histoire. C’est pourquoi nous devons reconstruire le système et introduire un modèle éducatif radicalement nouveau, basé sur l’ascendance des textiles et son affinité avec la mode ; comprendre la parenté de la création.

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