Produire toujours plus et toujours moins cher. La fast fashion est un modèle plutôt lucratif. Les poids lourds du secteur voient leurs chiffres d’affaires grimper quasiment chaque année. La firme espagnole, Inditex, maison mère de Zara et Bershka entre autres, a engrangé en 2021 27,7 milliards d’euros. Son principal concurrent, le géant suédois H&M, 19,3 milliards d’euros.
Le secteur est passé maître dans la reproduction de collections de luxe, à des prix cassés. Des gammes sans cesse renouvelées, à des prix très attractifs, surtout auprès des plus jeunes. Ces marques sont les championnes d’un modèle de consommation effréné: article à peine repéré, vite acheté, à peine porté, vite jeté. Plus de 100 milliards de vêtements sont aujourd’hui vendus chaque année, c’est deux fois plus qu’au début des années 2000. Une frénésie d’achat amplifiée ces dernières années par les applications de vente en ligne, d’autant que les livraisons à domicile et les retours sont quasiment toujours offerts.
« On est aujourd’hui dans une mode de la démesure », déplore Géraldine Viret, porte-parole de l’ONG suisse Public Eye, invitée dans Géopolitis. « La mode éphémère, c’est une stratégie qui a été mise en place par les marques il y a plusieurs décennies pour continuer à croître dans un secteur saturé », relève-t-elle. « Et puis on fait croire aux gens qu’il n’y a pas de conséquences, alors qu’on en paie tous le prix aujourd’hui. »
Shein, l’ultra fast fashion
Avec des robes ou des tee-shirts proposés parfois à moins de 3 ou 9 euros, le marque chinoise Shein cartonne auprès des adolescents. Depuis plus d’un an, Shein est l’application de mode la plus téléchargée aux Etats-Unis. Le groupe a atteint ce printemps les 100 milliards de valorisation, plus que celles des deux leaders Inditex et H&M réunis.
« Shein c’est un peu la fast fashion sous stéroïdes », résume Géraldine Viret. « C’est-à-dire qu’il prend les mêmes recettes, en les poussant à l’extrême. Donc des articles très bon marché, un catalogue gigantesque, que l’on produit quasiment en temps réel. Et puis, on utilise des stratégies marketing redoutables pour rendre les jeunes accros. » Le groupe a tout misé sur le commerce en ligne et ses collaborations avec des influenceurs pour attirer les plus jeunes. « Shein a réussi à intégrer le marketing, l’acte d’achat, dans les interactions sociales des jeunes, notamment sur TikTok. Et ça, c’est évidemment extrêmement dangereux. Il y a un manque fondamental de transparence sur le rôle et le statut des influenceurs », s’inquiète Géraldine Viret.
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Ateliers de misère
Public Eye a enquêté sur ce nouveau géant chinois de la mode à bas prix. En 2021, l’ONG révélait des « conditions de travail déplorables » dans les ateliers de Canton qui travaillent pour Shein. « Sur le papier, les salaires ont l’air corrects. Ils ont même l’air bons pour être honnête. Mais dans les faits, on constate que pour gagner ce salaire, le gens doivent travailler pour deux. Cela veut dire 11 à 12h par jour, plus de 75h par semaine, pour un seul jour de congé par mois », détaille Géraldine Viret, qui évoque aussi des conditions de sécurité très alarmantes dans les ateliers.
« 75 millions de personnes vivent de l’industrie textile, mais dans quelles conditions? », s’interroge la porte-parole. « Cette grande promesse d’un développement économique et social, grâce à l’industrie textile globalisée n’a jamais été tenue, estime-t-elle. Aujourd’hui, dans les pays producteurs, il faudrait multiplier les salaires par deux, voire cinq, pour atteindre un minimum vital. (…) Au vu de leurs bénéfices, ces grandes marques ont largement les moyens de faire mieux. »
Désastre écologique
La mode à bas prix génère un coût social et environnemental de plus en plus considérable. Chaque année, rien qu’en Europe, 4 millions de tonnes de vêtements finissent à la poubelle. Une infime partie des vêtements usagés intègrent la filière de la seconde main ou du recyclage. La grande majorité terminent dans d’immenses décharges à ciel ouvert, comme dans le désert de l’Atacama au Chili ou sur les côtes du Ghana. Brûlés, ils génèrent des gaz toxiques pour les populations environnantes.
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« Cette promesse du recyclage ou de l’économie circulaire, dans le cadre de la fast fashion, est vraiment un leurre », tranche d’emblée Géraldine Viret. « Le vêtement de fast fashion est presque déjà un déchet en soi. (…) Des fibres synthétiques mélangées extrêmement difficiles à recycler. Et surtout, aucun système ne peut absorber une telle quantité de vêtements. Le problème, c’est vraiment la surconsommation. »
Au Bangladesh, autour des usines textiles, les rivières sont de plus en plus polluées par les produits chimiques. Matériaux favoris de la mode jetable, les textiles synthétiques polluent aussi lors d’un simple lavage. A chaque lessive, des millions de microfibres sont rejetées. Cela représenterait plus d’un tiers des microplastiques présents dans les océans. Considérée comme l’une des industries les plus polluantes, la mode serait responsable de 10% des gaz à effet de serre, autant que le transport aérien international et le trafic maritime réunis.
Quelle régulation?
Il y a près de 10 ans, l’effondrement du Rana Plaza dans la banlieue de Dacca au Bangladesh avait fait plus d’un millier de morts et au moins 2500 blessés. Le drame avait poussé une trentaine de marques occidentales à renforcer la sécurité des usines et améliorer les conditions de travail chez leurs fournisseurs. Mais l’industrie de la mode est un secteur qui demeure peu contrôlé et peu régulé.
« Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas attendre que ces grandes entreprises agissent de manière responsable sur une base volontaire, » estime Géraldine Viret. La France et l’Allemagne ont déjà introduit dans leurs législations un devoir de vigilance des multinationales. « Contraindre les grandes entreprises à respecter les droits humains et l’environnement, sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, comme l’ont fait la France, l’Allemagne, comme s’apprête à le faire l’Union européenne, c’est extrêmement important », poursuit-elle, en regrettant que la Suisse ne leur emboîte pas le pas.
Mélanie Ohayon
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