Le problème des millions de tonnes de déchets de la mode peut-il être maîtrisé ? #799

16/10/2023

Les régulateurs tentent de lutter contre la pollution née par la mode jetable. Mais il est plus difficile qu’il n’y paraît de s’assurer que les vieux vêtements ne sont pas traités comme des déchets.

Chaque année, les consommateurs du monde entier jettent des millions de tonnes de T-shirts, de jeans et de robes usagés – et les volumes ne font qu’augmenter.Une grande partie de ces produits – près de 80 % dans le cas de l’Union européenne – va directement à la poubelle, se mélangeant à d’autres formes de déchets et finissant souvent dans des décharges et des incinérateurs. Le reste passe par les poubelles de dons et les points de collecte de textiles pour aboutir à un marché secondaire florissant, mais controversé, axé sur l’exportation. Selon les associations de défense des droits de l’homme, en l’absence de contrôle de la qualité, de grandes quantités de vêtements usagés finissent tout simplement dans des décharges.

Aujourd’hui, de grands marchés de consommation tels que l’Union européenne et la Californie cherchent à s’attaquer à ce problème en introduisant des systèmes de « responsabilité élargie des producteurs » (REP) qui obligeraient les marques à payer pour couvrir le coût de la gestion des déchets textiles.

Mais les décideurs politiques élaborent des réglementations pour un système de collecte, de tri et de recyclage qui n’existe pas encore à l’échelle requise. La question de savoir quand un vêtement doit être traité comme un déchet et quand il doit être considéré comme une marchandise de valeur qui peut être réutilisée et revendue est délicate.

Comment le système fonctionne-t-il actuellement ?

Un certain nombre de pays européens ont mis en place des programmes de REP pour les textiles cette année, en prévision d’une réglementation plus large au niveau de l’UE. Mais la France a mis en place une politique depuis plus de dix ans.

L’année dernière, le pays a collecté plus de 260 000 tonnes de vieux vêtements, chaussures et linge de maison, selon Refashion, l’organisation chargée de superviser le programme français. Elle a versé 22,5 millions d’euros (23,7 millions de dollars) à des centres de tri sous contrat qui séparent les produits jugés appropriés à la revente de ceux destinés à la déchiqueteuse pour le recyclage mécanique.

La quasi-totalité des produits triés et jugés propres à la revente ont été expédiés à l’étranger, faisant partie d’un commerce opaque de vêtements de seconde main qui, selon les groupes de défense, a transformé les pays d’accueil en décharges pour la « fast fashion ». Environ un tiers des textiles collectés dans le cadre de la filière REP française finissent en Afrique.

La forte dépendance à l’égard de l’exportation massive de textiles, avec peu de contrôle sur la qualité ou le sort final des vêtements, est une lacune du système qui devrait être prise en compte dans la législation en cours de discussion au niveau européen, selon un document de synthèse publié le mois dernier par Paris Good Fashion. L’association française, qui regroupe plus de 100 acteurs du secteur, comprend de grandes entreprises de mode telles que Chanel, Kering et LVMH, la Fédération de la Haute Couture et de la Mode et des organisations à but non lucratif telles que la Fondation Ellen MacArthur.

« Nous avons pensé qu’il était bon de mettre en lumière les lacunes du système français », a déclaré Dounia Wone, responsable du développement durable du site de revente Vestiaire Collective, qui a dirigé les recherches et mène des actions de plaidoyer à Bruxelles sur cette question.

Le problème est que les infrastructures de recyclage des textiles sont limitées au niveau mondial, alors que le volume des déchets augmente et que leur qualité se détériore. Les efforts de l’UE pour gérer les déchets textiles devraient inclure des règles strictes et cohérentes pour s’assurer que tous les vêtements jugés aptes à l’exportation répondent aux normes de qualité, exiger une plus grande transparence et des contrôles pour empêcher que les déchets soient simplement envoyés à l’étranger et s’assurer que les exportations ne vont que vers des pays qui consentent à les recevoir et qui ont démontré leur capacité à commercialiser ou à traiter les vêtements usagés, selon le document de position.

Refashion a déclaré être d’accord avec la nécessité de renforcer les audits. L’organisation prépare sa propre prise de position sur le sujet.

Pourquoi ce sujet est-il au cœur de l’actualité ?

La lutte contre les déchets textiles est une priorité pour les décideurs politiques de l’Union européenne, qui a identifié ce secteur comme l’un des plus polluants de l’Union. Les règles déjà adoptées signifient que les États membres devront avoir mis en place des systèmes de collecte des déchets textiles d’ici à 2025. En juillet, la Commission européenne a présenté sa proposition de système de REP, qui comprend des règles de gestion des déchets textiles visant à donner la priorité à la réutilisation et à recycler davantage de textiles. Le mois dernier, le Parlement européen a présenté un premier projet d’amendements, ce qui constitue la prochaine étape pour faire avancer la proposition vers un accord final.

Entre-temps, la Californie, l’État américain qui compte à lui seul parmi les plus grandes économies du monde, mène des consultations sur une proposition de loi relative à la REP.

La question de savoir quand et comment les textiles mis au rebut sont considérés comme des déchets est un détail technique, mais important. Les produits classés comme étant destinés à la réutilisation ou à la revente font l’objet d’une surveillance moins stricte et ont une valeur plus claire, en particulier en l’absence d’une infrastructure de recyclage mature. Les décideurs politiques doivent trouver le juste milieu pour que les produits susceptibles d’être réutilisés atteignent les marchés appropriés, tout en contrôlant le flux de déchets de manière à permettre le développement d’infrastructures de recyclage et à combler les lacunes existantes.

« Le diable se cache dans les détails », a déclaré Rachel Kibbe, directrice exécutive du Circular Services Group, une société de conseil et de défense des intérêts de l’industrie.

 

« Le diable se cache dans les détails », explique Rachel Kibbe, directrice exécutive du Circular Services Group, une société de conseil et de défense des intérêts qui dirige les efforts de l’industrie pour élaborer une politique de REP en Californie. « L’objectif global est de réduire les déchets, entre guillemets. Mais qu’est-ce qu’un déchet ?

Bien que le projet de loi californien soit encore en cours d’élaboration, bon nombre de ces considérations figurent dans la proposition existante de l’UE.

Qu’en est-il de la surproduction ?

Un seul texte législatif ne sera jamais la solution miracle au problème des déchets dans le secteur de la mode.

Les systèmes de REP visent à créer des mécanismes de financement de la collecte, du tri et du recyclage des textiles, mais les groupes de pression estiment qu’ils doivent s’accompagner de mesures supplémentaires visant à garantir que les produits mis sur le marché ont une durée de vie suffisamment longue pour pouvoir être réutilisés et qu’ils sont conçus de manière à pouvoir être recyclés – deux points qui figurent sur la feuille de route de l’Europe en matière de réglementation de l’industrie textile.

Les redevances associées aux systèmes de REP pourraient également inciter les entreprises à modifier leur mode de production. Dans son projet de proposition, la Commission européenne estime que le coût moyen de la collecte et de la gestion des déchets vestimentaires dans l’Union européenne s’élèverait à 12 cents par article, mais le coût devrait varier en fonction du matériau et de la composition des articles spécifiques, de sorte que les produits plus difficiles à recycler (par exemple, ceux fabriqués à partir de fibres mélangées ou comportant de nombreux boutons ou fermetures à glissière) devraient faire l’objet d’une redevance plus élevée.

Toutefois, la collecte, le tri et l’élimination responsable des textiles ne sont qu’un élément d’un défi plus vaste pour l’industrie. « Cela ne répond pas à la question plus importante, qui est celle des volumes », a déclaré M. Wone.

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Paris Good Fashion x Vestiaire Collective – Position Paper – Accès