Laine: où en est la relance de la filière française, portée par Tricolor ? #734

12/05/2023

Lancée en 2019 pour organiser et développer la filière laine française, l’association Tricolor tient les 11 et 12 mai à Roubaix et Tourcoing ses deuxièmes « Journées Tricolor ». L’occasion pour ses membres (éleveurs, organisations, industriels et marques) de visiter plusieurs entreprises locales liées aux ovins. Mais surtout l’opportunité d’une assemblée générale devant définir le cap de la filière cherchant des débouchés pour 25.000 éleveurs, cumulant quelque 7 millions d’ovins, et produisant à l’année 10.000 à 12.000 tonnes de laine en suint (non lavée). Ce qu’explique à FashionNetwork.com son délégué général Pascal Gautrand.

Le choix du Nord n’est pas innocent. Après des premières Journées Tricolor à Arles, fief du célèbre mérinos éponyme, Roubaix et Tourcoing entraînent les 65 organes et entreprises membres dans un fief de la laine peignée. Une édition co-organisée avec l’UITH (Union des industries textiles & habillement Nord), et accueillie par l’accompagnateur de projets Euramaterials et le CETI (Centre européen des textiles innovants). Le tout avec au programme la visite de l’entreprise spécialiste de préparation de fibres naturelles et synthétiques Peignage Dumortier, établie à Tourcoing, et du fabricant belge de tapis Louis De Poortere, à Mouscron.

Quatre axes sont au cœur des discussions de la filière. A commencer par la qualité et l’équité. « Deux notions très liées, car comment mettre en œuvre une amélioration de la qualité si la laine n’a pas de valeur: il faut impérativement la valoriser auprès des éleveurs », nous explique Pascal Gautrand. Vient ensuite la traçabilité, qui doit permettre notamment de mesurer la qualité des laines obtenues et exploitables. Le dernier point étant lui, sans surprise, la responsabilité.

Un point qui est l’une des grandes thématiques actuellement au cœur des réflexions de Tricolor. « En termes de responsabilité, nous cherchons à travailler de façon collaborative avec des projets homologues en Europe », explique Pascal Gautrand. La filière laine européenne souffre en effet d’un déséquilibre: dans de grands pays producteurs de laine comme l’Australie, le mouton est principalement élevé pour sa laine. Les émissions liées à l’élevage pèsent donc à 100% sur le score carbone de la laine. Or, en Europe, la laine n’est qu’un « sous-produit », une retombée annexe de l’industrie agroalimentaire. Pendant que la viande prend sur elle le gros de l’impact carbone des élevages, seul 1 à 1,2% des émissions des moutons y sera attribué à la laine.

S’inspirer du lin européen et de British Wool

Pour marquer sa différence avec les laines non européennes, Tricolor a donc dans l’idée d’établir un score carbone spécifique à la laine européenne. L’association s’inspire notamment sur ce point du travail mené par l’Alliance européenne du lin et du chanvre (ex-CELC), qui crée son propre label pour différencier le lin européen et ses vertus des filières extérieures.

« Pour parvenir à cette différenciation, il va d’abord falloir prouver la viabilité des données », souligne Pascal Gautrand. Pour qui la création d’un label est une possibilité, si les acteurs de la filière souhaitent prendre cette direction. A moins qu’un label existant ne s’adapte aux réalités européennes: la filière se repose par exemple aujourd’hui largement sur le label RWS (Responsible Wool Standard), qui interdit le mulesing une pratique consistant à retirer la peau autour de la queue du mouton, par prévention sanitaire. “Or, le mulesing, on ne le pratique pas chez nous”, souligne le délégué général.

Tricolor regarde également outre-Manche du côté de l’organisation British Wool, « qui est pour nous un modèle de par son mode d’organisation », explique Pascal Gautrand. « Son système est tel qu’elle a réussi à collecter et écouler 100% de la laine, même au pire de la crise sanitaire. » Un dispositif de coopérative nationale qui centralise, trie et dispose de son propre système d’enchères, dont Tricolor n’entend pas dupliquer le modèle, mais tirer l’inspiration pour sa propre approche.

En attendant, la filière française de la laine a obtenu le soutien financier pour son application Tricolor. Une vingtaine des projets pilotes sont en cours pour identifier les points d’amélioration de ce dispositif devant accompagner les acteurs du secteur. L’objectif de l’application est notamment d’aider à trouver des débouchés pour les différents stocks de laine disponibles, aux différentes étapes de transformation.

Car un autre grand objectif de la filière est de développer les usages techniques pour de gros volumes de laine, et ceci au-delà du seul usage sous forme de fils et textiles. La lanoline, surplus de graisse imperméabilisant secrété par les moutons, a ainsi des débouchés dans les cosmétiques et de produits d’entretien. Autre exemple: l’entreprise Peignage Dumortier obtient pour sa part 10-15% de « blousses », laine pouvant devenir du feutre, jadis massivement utilisé pour les chapeaux.

Côté débouchés, Alinéa (groupe Auchan) a récemment rejoint Tricolor avec l’idée de ne plus se fournir que dans un périmètre de 1.500 kilomètres autour de son siège d’Aubagne, en se débarrassant au maximum des matières issues du pétrole, textile compris. Ceci s’ajoute à des opérations comme Balzac s’associant à l’entreprise Traille pour proposer une doudoune en ouate de laine, ou la société La Routo développant des vêtements de randonnées en mérinos d’Arles. Sans oublier les travaux menés avec d’autres adhérents comme LVMH, Le Slip Français, 1083, Saint James, Atelier Tuffery, Devernois ou encore De Bonne Facture.

Lavage alternatif et cartographie des gisements

Parmi les nombreux projets de la filière, Tricolor étudie notamment en laboratoire une alternative au lavage traditionnel, nécessitant beaucoup moins d’eau et d’énergie. Un projet cofinancé par FranceAgrimer, émanation du ministère de l’Agriculture, qui doit rendre ses résultats en fin d’année. « Le but est d’aller vers une industrialisation de ces nouveaux process », indique Pascal Gautrand, qui évoque les très bons résultats déjà obtenus. Mais aussi des échanges avec de futurs investisseurs intéressés par cette alternative premium au lavage actuel, mené principalement en Asie, où partent aujourd’hui 75% de la laine en suint produite en France.

Un projet central de Tricolor reste la cartographie des gisements français de laine. Si le nombre de moutons est connu, le détail des races se mélangeant dans les bergeries l’est moins. Et les cinquante-neuf races de moutons recensées en France n’offrent pas toutes la même qualité ou épaisseur de laine. « Nous avons pour l’heure réussi à évaluer les masses obtenues pour chaque race, et à établir des catégories de laine correspondant à différents usages, explique le délégué général de Tricolor. Cela permet d’identifier les valorisations possibles, dans la mode, la literie et autres. »

Reste que le développement d’une filière laine passe aussi par l’identification des étapes de transformation les moins représentées dans l’Hexagone. A commencer par la collecte et le tri, centrés autour de sept à huit acteurs privés, dont des acteurs étrangers. Des acteurs tournés vers un marché de gros, générant peu de valeur pour la laine française. « Notre laine en suint est exportée à un euro le kilo », déplore Pascal Gautrand.

Côté lavage de la laine, la France ne compte qu’un spécialiste du lavage semi-industriel, les grands acteurs étant deux au Royaume-Uni, un en Belgique, un en Italie, et quelques petits acteurs en Espagne et au Portugal. Côté filature, peu de spécialistes subsistent en France. UTT (Union textile de Tourcoing) ou Bergère de France sont seuls sur la filature peignée, où la fibre est serrée et l’air chassé du processus. Auxquels s’ajoutent cinq à six filatures cardées (laine gonflée à chaud, donnant un aspect moins irrégulier), dont les Filatures du Parc (à Brassac).

Quel soutien politique pour la filière laine?

A l’heure des discours étatiques sur la souveraineté industrielle, se pose la question du soutien gouvernemental à toutes ces ambitions lainières.

Les représentants de Tricolor ont eu l’an passé plusieurs rencontres ministérielles, de l’Industrie et au Commerce, Artisanat et Tourisme. « Nous avons un soutien d’estime », résume Pascal Gautrand, qui salue le soutien reçu néanmoins via FranceAgrimer.

Un rapport développé par le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) concernant la laine sera remis ce mois-ci au ministre de l’Agriculture. Rapport attendu par Tricolor, qui espère que cela permettra d’obtenir des aides. Avec là encore un défi: ces aides se jouent souvent au niveau régional… rendant moins audibles des projets nationaux comme celui de la laine française.

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