La proposition de l'UE doit rendre les marques de mode responsables des déchets textiles dans le monde, selon les défenseurs des droits de l'homme #747

05/06/2023

La proposition relative à la responsabilité élargie des producteurs devrait rendre plus coûteux pour les marques et les détaillants le déversement incontrôlé de déchets textiles dans des pays comme le Ghana.

Des créateurs, des militants et des responsables locaux du Ghana appellent les décideurs politiques européens à proposer un cadre de responsabilité élargie des producteurs (REP) qui rende compte des déchets textiles au niveau mondial et pas seulement dans leur propre pays.

« Vos rues sont propres parce que les nôtres sont jonchées de déchets », a déclaré Nutifafa Mensah, propriétaire de la boutique de seconde main Upcycled Thrift Ghana, basée à Accra, dans un communiqué publié la semaine dernière par The Or Foundation, une organisation à but non lucratif qui étudie le marché de la seconde main au Ghana et travaille avec les communautés pour identifier et développer des solutions aux problèmes qu’il pose. Une délégation organisée par l’association a passé les deux dernières semaines à rencontrer des décideurs politiques, des cadres de l’industrie et d’autres personnes à Bruxelles, Paris et Helsinki pour parler de l’impact du problème des déchets de la mode sur les communautés du Sud, comme le marché de Kantamanto à Accra, et pour exiger que ces communautés soient incluses dans le développement – et bénéficient – des solutions destinées à résoudre ce problème.

L’UE devrait publier cet été des règles « harmonisées » en matière de REP pour les textiles, ainsi que des incitations économiques pour rendre les produits plus durables. Avec d’autres mesures, notamment des contrôles plus stricts de l’écoblanchiment, des passeports numériques pour les produits et des efforts pour réduire la pollution par les microplastiques, le cadre de la REP est un élément clé de la stratégie de l’UE pour des textiles durables et circulaires, annoncée en mars 2022. C’est également la direction que prend la législation mondiale, en général, selon de nombreux observateurs : La France a adopté l’année dernière une législation sur la REP pour les vêtements, les législateurs californiens ont présenté en février un projet de loi visant à faire de même pour les entreprises qui fabriquent ou vendent dans l’État, et le concept est en train de s’imposer dans un certain nombre d’industries en dehors de la mode. La REP est depuis longtemps considérée comme un outil nécessaire à la gestion des déchets dans toutes les industries qui en produisent des quantités excessives, qu’il s’agisse de l’alimentation et des boissons, de l’électronique ou, de plus en plus, de la mode.

Toutefois, les experts craignent qu’une proposition qui ne répond pas explicitement aux besoins de communautés telles que celles représentées par la Fondation Or risque de perpétuer et d’accélérer le flux ingérable de déchets de vêtements des marchés de consommation principalement riches vers les pays du Sud. Cette situation est intenable pour les populations et la planète, étant donné que les vêtements encombrent déjà les côtes d’Afrique de l’Ouest et s’accumulent tellement dans le désert chilien qu’ils sont visibles depuis l’espace.

« La conversation devrait inclure tout le monde, tous les pays. Partout où les vêtements vont, les politiques [de REP] devraient les inclure », déclare Patrick Abesiyine Anyebuno, coordinateur du fonds de solidarité pour la brocante de la Fondation Or et membre de la « délégation Kantamanto », qui comprenait 16 citoyens ghanéens, trois Américains et un Français.

Les volumes de production de l’industrie de la mode – et la vitesse à laquelle les consommateurs achètent de nouveaux vêtements – ayant augmenté, les volumes de vêtements arrivant dans les pays du Sud par le biais du marché mondial de la seconde main ont également grimpé en flèche. La qualité des vêtements qui leur parviennent s’est quant à elle effondrée, à la fois parce que la mode rapide représente un pourcentage plus important du marché global et parce que, avec l’essor de la revente, les articles de meilleure qualité sont souvent éliminés avant d’atteindre les circuits d’exportation.

Les législateurs européens espèrent qu’en rendant les producteurs responsables des déchets générés par leurs produits, la responsabilité élargie des producteurs permettra de dissocier la production de déchets de la croissance du secteur.

« En tant que l’un des principaux négociateurs de la stratégie textile de l’UE, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’industrie textile cesse d’être un Far West non réglementé », déclare l’eurodéputée Alice Kuhnke. « Nous avons demandé des systèmes de REP harmonisés avec une éco-modulation des redevances et nous voulons utiliser la contribution pour respecter la hiérarchie des déchets, soutenir la gestion des textiles usagés et inciter à réduire les volumes de production. Nous avons également besoin de règles strictes en matière de transfert de déchets et de critères permettant de distinguer les biens usagés des déchets, afin d’arrêter d’exporter tous ces vêtements qui ne peuvent même pas être revendus.

Les domaines d’intervention de l’UE, basés sur des résumés et d’autres documents maintenus en ligne, comprennent la création d’une économie pour la collecte, le tri, la réutilisation et la préparation à la réutilisation et au recyclage, et la mise en place d’incitations pour que les entreprises conçoivent leurs produits en fonction de la circularité dès le départ.

M. Anyebuno explique que pour qu’une politique de REP soit responsable au niveau mondial, elle doit répondre à deux objectifs principaux : elle doit collecter des fonds qui sont alloués en fonction de l’endroit où les vêtements finissent plutôt que de l’endroit où ils sont collectés, et elle doit inciter les marques de mode à produire moins de vêtements dans l’ensemble. « Les fonds collectés ne doivent pas rester dans l’UE, car les vêtements ne restent pas dans l’UE », explique-t-il. « Or, nous ne disposons pas des ressources financières nécessaires pour gérer nos propres déchets, et encore moins des structures nécessaires pour gérer les déchets d’autrui.

La France, qui gère à ce jour le seul programme de REP pour les textiles au monde, perçoit une redevance nominale par vêtement, et la plupart des fonds générés sont allés à des centres de tri dans le pays. Alors que les décideurs politiques envisagent d’adopter un programme de REP au niveau de l’UE, la délégation de Kantamanto souhaite non seulement une répartition plus appropriée et plus équitable des fonds, mais aussi que l’UE augmente la redevance de manière à ce qu’elle puisse réellement couvrir une partie des coûts liés à la gestion des déchets. Le taux actuel, qu’elle estime à un centime par vêtement en moyenne, est beaucoup trop bas, selon elle. « Il ne suffit pas à dissuader les marques de produire des vêtements en trop, ni à accumuler l’argent nécessaire pour s’occuper réellement des déchets générés par l’industrie », explique M. Anyebuno.

Selon Solomon Noi, directeur du département de gestion des déchets de l’assemblée métropolitaine d’Accra, le traitement de tous les déchets grève également le budget du gouvernement local, réduisant ainsi sa capacité à traiter les problèmes publics dans leur ensemble. Il ajoute que le système fiscal du pays n’est pas à la hauteur. « Ce sont les mêmes impôts qui servent à financer l’éducation, la santé, l’agriculture et tout le reste. Et vous attendez de nous que nous utilisions ces mêmes maigres taxes pour pouvoir gérer ces produits mis au rebut – qui ne sont pas nos déchets de toute façon. C’est du colonialisme. Je n’ai pas d’autres adjectifs pour qualifier cela ».

« Nous avons une responsabilité »

La pression monte également à l’intérieur de l’Europe. « Les piles de vêtements sur les plages d’Accra indiquent clairement que le système est défaillant. Pendant trop longtemps, l’industrie textile a été autorisée à ne pas être réglementée, malgré l’immense coût environnemental et humain », déclare M. Kuhnke, qui a rencontré la délégation du Kantamanto au Bureau européen de l’environnement, à Bruxelles, la semaine dernière. « Il nous appartient, en tant que responsables politiques, d’écouter les faits et les autres voix qui s’élèvent sur le terrain, et de veiller à ce que des lois soient mises en place pour mettre un terme aux mauvaises pratiques telles que la mise en décharge des textiles, ainsi qu’à la mode rapide en général, qui est à l’origine de tous ces déchets ».

Future in Our Hands, une organisation norvégienne qui promeut une « consommation éthique et durable », milite pour des politiques ambitieuses en matière de REP, tant dans l’UE qu’en Norvège (qui n’est pas membre de l’UE).

« L’une des principales questions est de savoir comment prendre en compte le déversement massif de déchets dans les pays les plus pauvres. Nous pensons que nous avons une responsabilité », déclare Anja Bakken Riise, directrice exécutive et secrétaire exécutive du conseil d’administration. Elle se réfère à des chiffres indiquant que le volume de textiles usagés exportés par la Norvège chaque année équivaut à environ 40 % de ce que le pays importe chaque année, ce qui signifie que près de la moitié des vêtements que les Norvégiens achètent chaque année finissent par être jetés, ce qui, selon Mme Riise, prouve que le statu quo ne peut plus durer.

L’organisation souhaite que la Norvège mette en place un mécanisme obligeant les entreprises qui vendent de nouveaux produits « à suivre ces articles jusqu’à ce qu’ils deviennent des déchets, que ce soit en Norvège, en Europe ou en Afrique du Sud. Et elles doivent d’une manière ou d’une autre participer au financement du nettoyage du gâchis qu’elles créent », explique M. Riise.

Au niveau de l’UE, et à l’instar de ce que la Fondation Or a demandé, ils espèrent voir le financement d’activités et de programmes de gestion des déchets « au niveau du destinataire » – distribués potentiellement par l’intermédiaire des organisations de responsabilité des producteurs (ORP), qui sont des composantes standard des programmes de REP destinés à organiser la logistique, comme la reprise et le recyclage des déchets, qui sont impliqués dans le respect de la législation – ainsi que des politiques qui obligent la mode à réduire sa vitesse et ses volumes globaux.

« La Commission européenne s’est montrée très ambitieuse lorsqu’elle a lancé sa stratégie textile. Elle a déclaré vouloir mettre fin à la fast fashion. C’est une initiative extrêmement ambitieuse et audacieuse. Mais jusqu’à présent, il n’y a eu que très peu de propositions pour une REP harmonisée, et nous savons que l’industrie a un très grand pouvoir de lobbying au sein de l’UE. Nous sommes donc inquiets », déclare M. Riise.

Daniel Mawuli Quist, styliste à Accra qui recycle des accessoires à Accra et qui a participé à la délégation de Kantamanto, se réfère au vieil adage selon lequel il faut suivre l’argent.

« La piste de l’argent est très cohérente dans l’économie linéaire. Elle tient compte de la manière dont l’argent circule et, à l’heure actuelle, la conversation porte sur la quantité d’argent qui peut circuler au sein du seul Nord », explique M. Quist. « L’industrie de la mode n’inclut pas les pays du Sud dans les décisions de fin de vie. Les décideurs politiques ne tiennent pas compte des pays du Sud. Nous essayons de pousser toutes les personnes impliquées à avoir une conversation côte à côte, plutôt que du haut vers le bas ».

A lire – Vogue Business