La mode créative fait entendre sa voix auprès de l'Union européenne #754

12/06/2023

Pour la première fois, l’European Fashion Alliance (EFA), forte de ses vingt-cinq fédérations professionnelles de la mode, s’est adressée publiquement à l’Union européenne. Les plus hautes instances de l’industrie de la mode créative sont intervenues dans le cadre d’une réunion exceptionnelle, qui s’est tenue au Parlement européen de Bruxelles ce mercredi 7 juin, donnant leur avis sur un certain nombre de thèmes urgents, telles la durabilité et l’écoconception, alors que l’UE doit approuver dans les prochains mois de nouvelles réglementations décisives sur ces questions.

Plus d’un participant n’a pas hésité à qualifier cet événement « d’historique ». « C’est une prise de parole inédite de la part de l’industrie de la mode créative. Jusqu’ici, il n’y avait pas une voix identifiée dans ce type de débat politique et européen. Face aux nombreuses réglementations européennes qui s’annoncent, nous entendons participer au débat et faire valoir nos spécificités », résume Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode.

« Jusqu’ici, nous avions pris des initiatives individuelles pour approcher les instances européennes, en nous présentant en ordre dispersé. Certes, il y existe déjà des acteurs de l’industrie textile au niveau européen comme Euratex, mais toute la dimension culturelle et créative du secteur de la mode n’était pas représentée par une institution officielle. Avec l’EFA, c’est désormais chose faite », renchérit Carlo Capasa, le patron de la Camera nazionale della moda italiana (CNMI). Fondée en juin 2022, l’EFA est composée de 29 membres, 25 fédérations de la mode, représentant 23 pays, 10.000 PME et 11 Fashion Weeks.Pas d’hémicycle, mais une discrète salle de réunion autour d’un petit-déjeuner très matinal, a accueilli les débats ouverts par l’eurodéputé allemand Christian Ehler, coordonnateur pour la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie et rapporteur sur la stratégie de l’UE pour des textiles durables et circulaires, qui a souligné d’emblée comment jusqu’ici Bruxelles manquait d’interlocuteurs dans ce secteur. « Nous avons besoin de votre expertise. Sans vous, cela ne peut pas marcher. C’est maintenant que se décide le futur face aux défis du développement durable et du changement climatique », a-t-il déclaré.

La question est d’autant plus urgente que, pour la première fois, l’Europe va destiner 2,3 milliards d’euros à un programme de recherche dans l’industrie créative (le secteur créatif général, pas seulement celui de la mode), d’où l’importance pour l’industrie de la mode de faire entendre ses exigences. « En termes pratiques, nous avons besoin d’interlocuteurs pour dialoguer et des projets concrets à financer. C’est maintenant que ça se décide, d’autant qu’1 milliard d’euros supplémentaire doit être alloué à la fin de l’année à un programme sur la recherche textile », indique encore Christian Ehler, qui a créé en 2014 avec la française Pervenche Berès l’Intergroupe Industries culturelles et créatives du Parlement européen.

C’est le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, qui a lancé la discussion, mettant en avant les thèmes cruciaux de la durabilité, de l’entreprenariat et de la protection de la propriété intellectuelle. « Certains de nos collègues n’ont pas encore réalisé combien vous êtes importants. Nous souhaitons vous soutenir dans ce moment décisif de changements au niveau mondial », a-t-il lancé en s’adressant aux représentants de l’EFA. « Votre industrie est à un tournant. Nous sommes là pour vous aider. Vous êtes leaders dans ce secteur et nous voulons que vous continuiez dans votre rôle de pionnier. ».

L’autre sujet phare de la discussion était centré sur la proposition que la Commission européenne a adopté le 30 mars 2022 concernant le nouveau règlement sur l’écoconception pour des produits durables (Ecodesign for Sustainable Products Relugation – ESPR), qui doit être discutée devant le Parlement et adoptée en 2024 avec une potentielle entrée en vigueur en 2025. Ce texte introduit, entre autres, un passeport numérique pour une vaste gamme de produits dont les vêtements. Surtout, il stipule l’interdiction de détruire des vêtements neufs invendus, mais aussi l’interdiction de recycler les invendus. Cette mesure vise en particulier la fast fashion pour la pousser à produire moins.

Or, comme le fait remarquer Pascal Morand, « pour beaucoup de marques, recycler fait partie d’une démarche de processus circulaire. Il y a le risque que l’on enlève ainsi tout un pan d’économie circulaire, et que l’on freine la motivation des créateurs à s’engager dans cette démarche ». « Avec cette réglementation ESPR, dont nous sommes partie prenante, il y a des enjeux à court terme, en parallèle du calendrier de la législation française en matière d’écodesign. C’est très important pour nous de prendre position », poursuit-il.

« Sans compter qu’il y a aussi la concurrence internationale. Il est clair qu’il faut se battre au niveau mondial pour rendre la mode durable. Nous avons une seule planète ! Nous devons donc travailler sur des règles éthiques tous ensembles, mais aussi sur l’innovation technologique. Ce sont les deux éléments qui constitueront la mode du futur », conclut Carlo Capasa.

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