La France contraint au DD par la loi : Qu'est-ce que cela signifie pour la mode ? #653

24/01/2023

Les marques qui vendent leurs produits en France ont un avant-goût des changements à venir, car une nouvelle vague de législation sur le développement durable exige une plus grande transparence et une meilleure traçabilité. Selon les experts, le secteur n’est pas prêt.

Le secteur de la mode est en train de passer de l’autorégulation et des pactes juridiquement non contraignants à une législation significative en matière de durabilité, comme en témoigne l’activité en France qui fait avancer l’agenda plus que d’autres pays. La position proactive du gouvernement français est un signe des choses à venir en Europe et au-delà, selon Lisa Lang, directrice de la politique et orchestratrice des affaires européennes du catalyseur d’innovation Climate-KIC, cofinancé par l’Union européenne.

Plusieurs nouveaux textes législatifs (et des clauses supplémentaires d’anciennes lois) sont entrés en vigueur au cours des deux derniers mois, incitant les marques à se conformer rapidement aux propositions plus larges de l’UE. Il s’agit notamment d’une plus grande traçabilité de la chaîne d’approvisionnement, d’un étiquetage plus transparent des produits afin de limiter l’écoblanchiment et d’une mise à jour de la responsabilité élargie du producteur (REP), qui vise à réduire les déchets avant et après consommation.

La France n’est pas la seule à rechercher une législation plus stricte en matière de mode durable : les États-Unis ont également fait pression pour que des progrès soient réalisés, par le biais du projet de loi 62 du Sénat californien, de la proposition de loi « Fashioning Accountability and Building Real Institutional Change Act » (connue sous le nom de « Fabric Act ») et de la loi new-yorkaise sur la mode. Ce qui distingue la France, c’est la rapidité du changement et l’accent mis sur les déchets. Elle applique également la législation européenne plus tôt que les pays voisins, ce qui constitue un modèle que d’autres pourraient suivre.

« Les lois françaises sont ambitieuses mais réalistes », déclare Marie-Claire Daveu, responsable du développement durable et des affaires institutionnelles internationales chez Kering. « Nous sommes une entreprise mondiale, donc nous appliquerons de toute façon les réglementations les plus strictes dans tous les domaines, mais il serait bien que cette norme minimale soit étendue à d’autres pays. »

L’attention portée par la France à la mode n’est pas surprenante, selon M. Lang de Climate-KIC. Les échéances approchent à grands pas pour les grands objectifs climatiques de l’UE, à savoir le Green Deal et Fit For 55, mais les actions menées jusqu’à présent ont été lentes et limitées. Dans ce contexte, et à l’approche des élections du Parlement européen en 2024, le gouvernement européen (la Commission, le Parlement et le Conseil) a commencé à faire pression en faveur d’actions à effort minimal et à impact maximal dans les secteurs les plus polluants. « La construction a la première empreinte carbone, suivie par le transport et la mode », explique-t-elle. « Étant donné que la France a une forte concentration de marques de mode, c’est la bonne voie à suivre. Dans l’industrie électronique, un pour cent des déchets est considéré comme de la surproduction. Dans le secteur de la mode, la surproduction atteint 30 à 40 %. Le potentiel d’impact est donc insensé. »

Qu’est-ce qui change ? Et quand ?

La France n’a pas les meilleurs résultats en matière de durabilité. Selon la Fondation Ellen Macarthur, en 2016, le pays accumulait 4,5 millions de tonnes de déchets plastiques en une seule année, dont 80 000 tonnes finissaient par polluer le milieu naturel. Cela faisait de la France le plus grand pollueur plastique de la région méditerranéenne. Elle détruisait également pour 630 millions d’euros de produits invendus chaque année, une pratique qui générait entre cinq et vingt fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que si ces produits étaient réutilisés.

Désormais, les déchets sont en tête des priorités. En février 2020, la France a adopté sa loi relative à la lutte contre les déchets et à l’économie circulaire, qui vise à éliminer les déchets et la pollution du cycle de vie des produits, du berceau à la tombe. Les engagements échelonnés comprenaient l’élimination progressive du plastique à usage unique d’ici 2040, la promotion d’une meilleure gestion des ressources et une plus grande transparence avec les consommateurs. Le 1er janvier 2023, un nouveau volet de cette loi est entré en vigueur, interdisant la destruction des invendus.

Une autre facette de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le décret n° 2022-748, a été proposée en avril 2022 et est entrée en vigueur en janvier 2023, rendant obligatoire pour les marques et les détaillants vendant en France de fournir aux consommateurs davantage d’informations sur l’impact environnemental des produits. Les exigences varient selon les catégories de produits. Pour les vêtements et les chaussures, les étiquettes devront indiquer le pourcentage de matériaux recyclés en poids ; des détails sur la recyclabilité future du produit ; la présence de substances nocives ou dangereuses telles que définies par le règlement européen Reach ; un avertissement sur l’excrétion de microplastiques si le vêtement contient plus de 50 % de fibres synthétiques en poids (recyclées ou vierges) ; et des informations de traçabilité telles que le pays d’origine pour les différentes étapes du processus de fabrication, et pas seulement pour le vêtement fini. Pour les vêtements, cela couvre l’endroit où le tissage, la teinture, l’impression et la confection ont eu lieu. Pour les chaussures, il s’agit des coutures, du montage et de la finition.

Le délai de mise en conformité dépend de la taille de l’entreprise. Celles dont le chiffre d’affaires est égal ou supérieur à 50 millions d’euros et qui commercialisent plus de 25 000 unités de produits sur le marché français chaque année devront se mettre immédiatement en conformité. Le décret sera ensuite étendu aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 20 millions d’euros et commercialisant plus de 10 000 unités sur le marché français à partir de janvier 2024, et à celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros et commercialisant 10 000 unités à partir de janvier 2025.

Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’un effort plus large de répression de l’écoblanchiment. Depuis avril 2022, la France a mis en place une liste noire pour certains jargons du marketing durable. Les produits et emballages en plastique qui ne sont compostables que dans une unité industrielle ne peuvent pas porter la mention « compostable », sinon ils doivent porter la mention « à ne pas jeter dans la nature ». Les termes « biodégradable » et « écologique » (ou équivalent) sont totalement interdits. Enfin, les produits contenant des matières recyclées ne peuvent être étiquetés comme « produit entièrement recyclable » que si le poids des matières recyclées dépasse 95 % et s’ils répondent à certains critères de recyclabilité future (notamment la capacité à être collecté et trié au niveau national, l’absence d’éléments susceptibles de perturber les processus de recyclage ou de limiter la recyclabilité, et s’il existe déjà une capacité suffisante pour recycler le produit à l’échelle industrielle).

Un court délai de grâce est prévu pour tenir compte de l’avance des marques de mode dans la production de leurs collections : les produits fabriqués ou importés avant le 1er janvier 2023 seront exemptés des nouvelles règles. Ce qui se passera si les marques ne se conforment pas à ces règles n’est pas encore clair. Les responsables affirment que des sanctions financières seront prévues, mais les détails de ces sanctions n’ont pas encore été confirmés publiquement.

La loi sur la résilience climatique introduite en août 2021 classera la durabilité de divers produits de A (la norme la plus élevée) à E, bien que la méthodologie soit encore en cours d’élaboration. L’UE travaille également sur ce sujet et étudie actuellement la méthode très controversée de l’empreinte environnementale des produits (PEF), qui suscite l’inquiétude des experts en raison de son exclusion de la capacité de renouvellement, de la biodégradabilité, de la biodiversité, des impacts sociaux ou de la pollution par les microplastiques.

Ces deux classements seront destinés aux consommateurs, mais la France élabore également un système de notation destiné à l’industrie afin de déterminer les incitations et les pénalités financières de son programme de REP. La France a mis en place une politique de REP en 2009, des années avant l’UE, mais vient de lancer son dernier plan quinquennal. Les responsables disposent d’un milliard d’euros de fonds publics pour la période allant jusqu’en 2028, dont 150 millions seront consacrés à la réparation des chaussures et des vêtements, et 100 millions seront alloués pour encourager la réutilisation des vêtements. Selon les responsables, la France a déjà augmenté la collecte de textiles usagés de 40 % depuis l’introduction de la loi, et elle prévoit d’atteindre 60 % d’ici 2028. Le classement – qui détermine le montant que les marques doivent verser au fonds REP en fonction des caractéristiques environnementales de leurs vêtements – devrait entrer en vigueur à partir de 2024.

Liz Ricketts, cofondatrice de l’association à but non lucratif The Or Foundation, estime que le gouvernement français pourrait aller encore plus loin. Au lieu de se contenter d’utiliser la REP pour financer des programmes de réutilisation et de réparation, et d’imposer des critères d’éco-conception, il pourrait également fixer des objectifs visant à réduire le nombre de nouveaux vêtements produits, et financer la gestion des déchets textiles dans le Sud, qui se poursuivra inévitablement, explique-t-elle. Cela fait écho aux appels lancés par les militants pour que la future législation sur la mode durable soit axée sur la justice, avec une approche plus réaliste et globale.

La traçabilité au centre des préoccupations

La traçabilité sera le plus grand défi si les marques veulent se conformer à la nouvelle législation française, déclare Shameek Ghosh, cofondateur et PDG de la plateforme de transparence de la chaîne d’approvisionnement TrusTrace, dont le manuel de traçabilité est soutenu par Adidas. « Pour obtenir ces informations, vous avez besoin du nom et de l’adresse de vos fournisseurs enregistrés. Comme il s’agit d’une réglementation au niveau du produit, les marques et les détaillants en sont responsables, bien que l’on ne sache pas exactement quelle sera la part de responsabilité des détaillants. Cette zone grise va probablement pousser les gens à agir plus rapidement, pour éviter toute responsabilité. »

Kering rassemble ces informations depuis près de dix ans, ayant publié son premier rapport consolidé sur les pertes et profits environnementaux (EP&L) en 2015. Mais la transparence et la traçabilité totales sont encore insaisissables dans certaines parties de la chaîne d’approvisionnement, explique Daveu de Kering. « Il s’agit d’un processus continu. Dès que vous choisissez une matière première ou un tissu, vous devez demander au fournisseur d’où il vient, comment il a été fabriqué et dans quelles conditions. Chaque fois que vous changez vos processus ou vos matériaux, vous devez reposer toutes ces questions. » Le processus crée un cycle vertueux, ajoute-t-elle, car les marques gagnent en visibilité sur les angles morts de leurs plans de durabilité actuels, et sur le potentiel d’améliorations supplémentaires.

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