Relancer la filière textile en France passe par la transition écologique et le recyclage des textiles «post-consommateurs» sur notre territoire, avec l’implantation de nouvelles usines. D’ici à 2030, le gisement de textile disponible pour le recyclage sera multiplié par trois ou quatre. Dans ce contexte, «il faudra recycler 2,2 millions de tonnes de textile en Europe, et ce serait bien qu’une partie de cette matière arrive chez nous», souhaite ardemment Géraldine Poivert, cofondatrice et présidente de (Re)Set company, un cabinet de conseil dédié à la transition environnementale et économique, et «ambassadrice France 2030» chargée des matériaux durables.
(Re)Set a publié une étude intitulée «Projet Graal – Faire de la France un acteur majeur de la filière textile to textile» pour Paris Good Fashion, l’association qui fédère un écosystème de 111 acteurs en France comprenant industriels, distributeurs, ONG, écoles… L’objectif est de développer le recyclage des textiles en France pour «repenser [la] filière textile et réindustrialiser les territoires», le tout, en identifiant les technologies les plus prometteuses.
15 000 nouveaux emplois créés avec le recyclage
L’étude rappelle que moins de 1% du textile usé en Europe est retransformé en nouvelles fibres textiles. Or, l’industrie du textile est responsable de 3 à 10% des émissions de GES, de 20% de la pollution de l’eau dans le monde, tandis que 1 900 produits chimiques sont utilisés dans la fabrication des vêtements. Devant ce constat, la législation devient plus pressante, avec l’obligation de collecte des déchets textiles post-consommateurs en Europe d’ici à 2025, et le durcissement des règles d’export des déchets en dehors de l’UE. Une évolution source d’emplois: 15 000 pourraient être créés en Europe, tandis que 1,5 à 2,2 milliards de bénéfices annuels pourraient être générés à partir de 2030, sans parler des 4 millions de tonnes de CO2 évitées.
Selon l’éco-organisme Re-Fashion, 715 000 tonnes de textile sont mises sur le marché en France chaque année. Sur ce volume, 245 000 tonnes sont collectées et 190 000 tonnes sont triées. Ensuite, la moitié part en réemploi et 30% sont recyclés pour la quasi-totalité en recyclage mécanique (défibrage, effilochage). Problème: (Re)Set rappelle que le recyclage mécanique ne permet que très rarement de faire du «textile to textile». La voie explorée par cette étude est donc le recyclage chimique qui n’est actuellement utilisé «que sur des fibres pétro-sourcées», indique Géraldine Poivert.
Selon l’étude, 53% du gisement peut être traité, avec un mix des technologies de recyclage chimique. Parmi elles, figurent la dissolution sélective, en utilisant des solvants pour dissoudre et extraire les polymères de manière sélective ; le pulping, toujours en utilisant des solvants pour produire de la pulpe cellulosique ; l’hydrothermal, qui consiste à utiliser de l’eau et de la chimie verte pour extraire les polymères sous haute température et haute pression ; et la solvolyse, dont le procédé vise à dépolymériser avec des solvants à différentes températures et utilisant toujours des solvants ou des enzymes. Si ces technologies permettent de répondre à la demande pour produire de nouveaux vêtements, (Re)Set demande des études complémentaires pour mieux connaître leur impact environnemental.
Trois entreprises intéressées
L’étude liste des entreprises déjà engagées sur ces enjeux de recyclage, comme Carbios ou Loop, des acteurs en développement plutôt positionnés sur la fibre synthétique. Mais le coton n’est pas pris en compte, alors qu’il s’agit du gisement le plus important (50% du total). Actuellement, il existe quelques projets pilotes de recyclage chimique aux Etats-Unis et en Europe du Nord pour cette matière, mais ces initiatives n’en sont pas encore au stade final.
Le «Projet Graal», quant à lui, fait l’objet de discussions avec trois entreprises (deux américaines et une européenne) qui se montrent intéressées pour s’installer en France et en Europe. Les noms pourraient apparaître très prochainement. «La France a été le premier pays à avoir un éco-organisme dans le textile avec un objectif de 70% de recyclage en 2030, justifie Géraldine Poivert. Elle est en concurrence avec d’autres pays qui vendent mieux leur territoire. Si on veut faire revenir les tisseurs, il faut s’y prendre maintenant. Si on remet de la matière, on recrée des grappes industrielles. Il faut construire les usines, industrialiser la collecte et le tri. Pour cela, il faut simplifier l’implantation d’usines vertes. Des usines qui consomment peu, à commencer par les solvants.» Un vaste programme.
A retrouver dans L’Usine Nouvelle