Elle a remporté la Fashion Week de Paris. Mais la robe en spray que Bella Hadid a portée sur le podium de Coperni est-elle compatible du développement durable ? Pour faire court, la réponse est non.
Manel Torres, qui a créé le tissu en spray et la société Fabrican, en 2003, affirme que le tissu peut être lavé et porté à nouveau, ou remis dans la boîte et repeint plus tard. Pourtant, même s’il est réutilisable, le tissu vaporisé à partir d’une bombe utilise probablement plus d’énergie et de produits chimiques et produit plus de déchets que n’importe quel autre tissu utilisé pour fabriquer un vêtement. Et, bien que cela ait eu l’air cool en temps réel sur le podium, il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse vaporiser ses vêtements chez lui (les émanations de Fabrican remplissent la salle de Coperni, ce qui pourrait à lui seul dissuader les clients), et encore moins les reconditionner et les réutiliser.
« Ils prennent l’aérosol, qui est le dispositif de distribution le moins efficace et le plus problématique, et l’introduisent dans un secteur où il n’existait pas », explique Martin Mulvihill, chimiste et associé fondateur de la société d’investissement Safer Made. Même si elles sont en métal, les bombes aérosol ne sont généralement pas recyclables : la pressurisation les rend trop risquées pour être acceptées par la plupart des centres de recyclage. Selon M. Mulvihill, Fabrican semble avoir donné la priorité à la durabilité dans le développement de sa technologie et évite certains des produits chimiques les plus préoccupants utilisés dans de nombreux produits aérosols, mais cela importe peu dans le contexte de la mode.
Depuis ses débuts sur les podiums à Paris, la mode a parlé de cette technologie davantage comme d’une innovation que comme d’un accomplissement en matière de durabilité. M. Torres admet que l’utilisation à domicile n’est pas pratique – il faudrait quelqu’un à portée de main pour vous vaporiser le dos, par exemple – et qu’il voit son utilisation plus applicable dans des environnements industriels, ce qui laisserait à l’industrie le soin de créer une infrastructure de collecte et de recharge, un exploit qu’elle est encore loin d’accomplir, même pour les fibres les plus courantes comme le polyester et le coton. Il affirme également que ce produit offre à la mode un autre matériau avec lequel travailler, plutôt que de remplacer un tissu particulier qu’elle utilise déjà.
Fabrican n’a pas été utilisé à Paris pour faire passer un message de durabilité, mais pour créer un moment, bien que Sebastién Meyer, cofondateur et directeur de la création de Coperni, ait fait allusion au potentiel de l’innovation dans une interview accordée à Vogue Business avant le défilé : « Il est de notre devoir de designers d’essayer de nouvelles choses et de montrer un avenir possible. Nous n’allons pas gagner de l’argent avec ça, mais c’est un beau moment – une expérience qui crée de l’émotion », avait-il déclaré à l’époque. (Coperni n’a pas répondu aux demandes de commentaires pour cette histoire).
Néanmoins, la mode a fait de nombreux progrès en matière de matériaux durables depuis que Fabrican a été développé il y a près de deux décennies. Ces progrès vont des innovations technologiques, telles que le recyclage des textiles et les systèmes de teinture à faible consommation d’eau, aux changements d’attitude des consommateurs et des entreprises. Lorsque Fabrican a été lancé en 2003, peu d’entreprises de mode parlaient de durabilité. Aujourd’hui, il est rare qu’une entreprise de mode ne publie pas de stratégie de développement sur son site web.
Ce que la robe représente en définitive, c’est une occasion manquée. Au cours d’un mois de la mode qui a été largement dépourvu d’appels forts et directs au DD – ou de démonstrations de celle-ci – sur les podiums, la robe vaporisée a pris plus de place dans les conversations sur l’innovation matérielle, mais aussi sur les priorités de la mode en général, que les matériaux alternatifs et les autres initiatives de DD que de nombreuses marques de luxe expérimentent. Bien que les grandes marques aient mis en place d’importantes stratégies de DD ou des objectifs climatiques, la question n’apparaît généralement pas sur les podiums, ce qui amène certains à s’interroger sur l’urgence de cette priorité pour le secteur.
Pour en savoir plus : Vogue Business