Afin de décrypter et de prendre en compte les « solutions concrètes » qui contribuent à chaque étape du processus, la fondatrice du cabinet de conseil en mode Shape Innovate a expliqué avoir réuni autour de la table des professionnels issus de tous les secteurs de la chaîne d’approvisionnement. Le panel réunissait ainsi le co-fondateur et designer de Ganni, Nicolaj Reffstrup ; la directrice de Fashion Revolution Brésil, Fernanda Simon ; et Sophie Aujean, la directrice du plaidoyer social de Fairtrade International en Belgique. On trouvait parmi les autres participants : Neesha-Ann Longdon, de l’organisme ghanéen The Or Foundation, et le responsable du développement durable du fournisseur PT Pan Brothers Tbk, Boadi Satrio.
Bien que Ten Napel ait déclaré qu’elle ne préférait pas centrer la discussion sur les problèmes, elle a reconnu que c’était là un point de départ inévitable pour trouver des solutions. Et c’est finalement en mentionnant les difficultés relatives à l’adoption de projets durables auxquels ils sont confrontés que les participants ont ouvert le panel. De la déforestation à l’accumulation des déchets textiles en passant par les pressions financières, divers obstacles ont été abordés.
Aujean (de Fairtrade) a évoqué une raison fondamentale à ces divers complications : « Pour nous, le plus gros problème est que l’industrie de la mode est dirigée par les acheteurs, ce qui signifie qu’il y a un énorme déséquilibre de pouvoir entre les acheteurs et les fournisseurs. C’est, par la suite, la cause profonde de nombreuses violations des droits de l’homme. Si les fournisseurs ont le sentiment qu’ils ne peuvent pas s’exprimer, alors leur situation ne leur permet pas véritablement de garantir le respect des droits de l’homme, et cela les expose à une pression importante, tout comme les ouvriers et les agriculteurs de coton. »
Une lassitude à l’égard des politiques et des projets pilotes
Alors que les discussions sur les politiques et les réglementations sont particulièrement actives, notamment parmi les membres de l’Union européenne – on pense par exemple aux cadres récemment établis par l’organisation pour réviser et créer des politiques visant à promouvoir l’adoption circulaire et durable – les invités du panel ont souligné la nécessité d’une approche multipartite pour formuler des moyens efficaces de changement et mettre en lumière un éventail de réglementations plus large. Les participants ont convenu que les politiques élaborées devraient s’adresser non seulement aux grandes entreprises et territoires, mais aussi à celles à plus petite échelle, tout en approfondissant la compréhension des réalités internationales et monétaires afin d’ouvrir vers des opportunités plus inclusives et accessibles.
Au cours de la discusion, l’aspect financier a naturellement été abordé. En référence aux innovations qui aident les marques à se conformer à la législation, Reffstrup, de Ganni, a déclaré que des problèmes surviennent lorsque personne n’est prêt à « prendre en charge la facture » – le cofondateur de la marque danoise s’est notamment fait connaître pour avoir intégré des matériaux de nouvelle génération au cœur même de ses collections. Reffstrup a remarqué que bien qu’il y ait beaucoup de startups inventant et développant de nouvelles technologies, elles ont du mal à atteindre une certaine échelle car elles sont confrontées à un système qui a été perfectionné pendant des centaines d’années. « Il y a une grande lassitude à l’égard des projets pilotes. Beaucoup d’entreprises sont heureuses de conclure une collaboration ou des partenariats de marketing avec ces startups, mais si vous ne vous appliquez pas à les intégrer au cœur de votre entreprise, cela n’aura aucun impact », a-t-il expliqué.
Le designer a ajouté que les coûts financiers liés à la mise en œuvre de solutions durables dans les opérations d’une marque ne devraient pas incomber au consommateur. Il met plutôt l’accent sur solutions alternatives telles que les incitations fiscales déductibles qui auraient un impact immédiat sur la manière dont une entreprise est gérée. Longdon, de la Or Foundation, a confirmé les points soulevés par Reffstrup, ajoutant : « Le profit doit changer. Ce n’est pas seulement pour l’industrie de la mode. C’est la raison pour laquelle nous sommes tous à la COP, parce que nous essayons d’évoluer vers un avenir plus durable. Mais la vérité, c’est que les incitations ne sont pas à la hauteur de ce qu’elles devraient être pour que cela se produise. »
Le prix a également été remis en question à d’autres moments de la conversation. Selon Satrio, de PT Pan Brothers Tbk, de tels coûts, y compris ceux qui garantissent les droits des travailleurs, ne peuvent pas non plus incomber uniquement au fabricant. « La marque ne peut pas être unilatérale », a-t-il noté, « elle doit comprendre l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Je pense que le fabricant devrait dire haut et fort qu’un certain prix n’est pas possible. La marque doit prendre en considération le fabricant afin que l’industrie puisse se développer dans son ensemble. En bout de chaîne, il y a toujours quelqu’un qui, d’une manière ou d’une autre, en paye le prix.
Alors, comment habiller durablement 10 milliards de personnes ?
Des préoccupations similaires se sont posées concernant les certifications nécessaires permettant d’afficher de tels efforts. Un membre du public a fait remarquer que l’obtention d’un certificat Fairtrade pouvait être particulièrement coûteuse pour les petites entreprises. Aujean a répondu en établissant un lien entre ces coûts et les systèmes de durabilité et de diligence raisonnable qui doivent être mis en place pour garantir la crédibilité requise. Elle a ajouté : « Nous essayons vraiment d’aider les entreprises à mettre en place ces systèmes. Là encore, je pense que l’essentiel est que les gouvernements organisent un environnement favorable en termes d’incitations afin que les prix restent abordables pour les consommateurs. »
S’il est clair que les incitations monétaires ont été l’une des principales solutions approuvées par le panel, la question de l’obligation de rendre des comptes et de la responsabilité a également retenu l’attention des participants. Selon Longdon, il est important de s’éloigner du concept de « blâme », lequel ne conduit souvent qu’à une attitude défensive, et de s’orienter vers la question suivante : « Qui est responsable de mon produit une fois qu’il a atteint la fin de sa vie ? » Elle a ajouté que les contraintes de temps constituent un obstacle à l’adhésion et à l’information d’un plus grand nombre de consommateurs : « Plutôt que de persuader [les consommateurs] par des arguments, l’une des choses les plus importantes que je dis aux gens est de penser à investir dans la qualité plutôt que dans la quantité. » Elle a ensuite précisé que la production de produits qualitatifs pour tous était un élément clé lorsqu’il s’agissait de rassembler les parties prenantes et les représentants, et que les aspects environnementaux et sociaux étaient étroitement liés, comme en témoigne l’augmentation de la pauvreté vestimentaire au Royaume-Uni, où les gens luttent pour avoir accès à des vêtements corrects.
M. Reffstrup, de Ganni, a fait part d’un état d’esprit similaire, repoussant davantage la responsabilité des consommateurs. Le créateur a déclaré que les marques ne devraient pas s’attendre à ce que ces personnes aient une connaissance approfondie de l’impact ou des certifications. Interrogé sur la question centrale du panel (Comment habiller durablement 10 milliards de personnes), le designer a proposé des solutions basées à la fois sur la technologie et sur les individus.
Enfin, Satrio a également partagé ses sentiments, en concluant : « Il s’agit de l’humain. L’humain est très important dans notre industrie à forte intensité de main-d’œuvre. Même si nous prenons soin du climat, le plus important, ce sont les gens. Les gens doivent être résilients. S’ils le sont, alors ils pourront s’adapter en cours de route et faire partie de la communauté, avec le reste de l’équipe mondiale. »
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