« Fermeture définitive », « fermé jusqu’à nouvel ordre »… Dans les centres-villes, partout en France, ces affiches fleurissent sur les portes des magasins de prêt-à-porter. Au fil des mois, la liste de ces enseignes malades ou obligées de mettre la clé sous la porte n’en finit plus de s’allonger.
Mercredi 1er mars, le tribunal de commerce de Grenoble a ordonné le placement en redressement judiciaire de la société Wilsam, détentrice des vingt magasins franchisés de l’enseigne Gap France. Le 20 février, c’est le chausseur San Marina qui a été placé en liquidation judiciaire après 42 années d’activité, entraînant dans sa chute quelque 650 salariés.
Succession de crises
Depuis le début de l’année, André, Go Sport ou encore Kookaï ont été placées en redressement judiciaire. Sans oublier C & A, qui a annoncé à ses salariés français la fermeture de sept magasins. Et Camaïeu, brutalement liquidé en septembre 2022, laissant quelque 2.600 salariés sur le carreau.
Les experts sont unanimes : l’industrie du prêt-à-porter milieu de gamme subit le contrecoup de quatre années difficiles, entre mouvement des Gilets jaunes, pandémie de Covid-19 et inflation galopante… Selon Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut Français de la Mode, « les ménages ont dû revoir avec l’inflation leurs arbitrages et sans doute acheter moins de vêtements : quand il y a un choc exogène, la consommation de mode n’est pas jugée essentielle et cela peut se comprendre. »
Directrice du pôle mode de Kantar, Hélène Janicaud estime que « le référent 2022 est le nouvel étalon : les “shoppers” (NDLR, clients) achètent moins depuis le Covid et on ne reviendra pas en arrière. » La preuve : en 2022, le chiffre d’affaires du secteur était en recul de plus de 4 %, par rapport à 2019, selon l’Institut français de la mode. Une mauvaise passe qui devrait durer : huit Français sur dix comptent réduire leurs dépenses d’habillement en 2023, selon une étude menée par le cabinet de conseil Wavestone.
Mauvaise stratégie
Les observateurs jugent que ces magasins n’auraient pas su s’adapter à l’évolution du secteur. « Le milieu de gamme, cela fait déjà plusieurs années qu’il a du mal à faire sa place entre la fast fashion (mode rapide) dont les géants du secteur sont Zara et H & M et maintenant l’ultra fast fashion, incarnée par le nouveau venu chinois Shein, qui vend uniquement sur Internet et dont les impacts sociaux et environnementaux sont très lourds », affirme Éloïse Moïgno, fondatrice de SloWeAre, label indépendant de la mode éco-responsable.
Gildas Minvielle pointe aussi le retard pris par ces acteurs dans la vente en ligne. « Dans un marché quasi saturé, beaucoup d’enseignes de moyenne gamme, au lieu de développer le e-commerce, ont continué à ouvrir des points de vente jusqu’en 2015-2016 : cette stratégie n’était pas la bonne. »
Pour Delphine Dion, professeur de marketing à l’Essec et spécialiste du retail, le secteur de l’habillement de moyenne gamme « n’a pas réussi à rester dans le vent. Ces marques ont vieilli et ne sont pas parvenues à “connecter” avec les jeunes, car de nouveaux concurrents sont arrivés en proposant une mode très en phase avec leurs habitudes de consommation (NDLR, Shein a acquis sa popularité sur le réseau social TikTok où des milliers de vidéos d’essayage des vêtements fraîchement arrivés par colis sont publiées) et très peu chère. Ces jeunes ont l’impression de pouvoir, grâce à cette mode de l’ultra fast fashion, devenir la Kim Kardashian des réseaux sociaux. Pourtant, Shein pose de vraies questions éthiques et environnementales en valorisant la surconsommation et la mode de l’éphémère. » Gildas Mionvielle résume : « Les Camaïeu, les Kookaï, ça ne parle pas aux jeunes. Ce sont plutôt des enseignes que connaissent leurs mamans. »
La montée des achats écoresponsables
Au final, tout se passe comme ci le secteur était coincé entre la fast fashion et les marques haut de gamme, sans pour autant proposer des prix aussi compétitifs que des distributeurs comme Shein ou des produits de bonne qualité. « Et puis garder sa désirabilité dans la mode, c’est très dur, hormis pour les marques de luxe qui ont cette capacité à se repenser en permanence ».
Enfin, de plus en plus de personnes réduisent leur consommation par souci de sobriété et optent pour des achats durables en seconde main. « Depuis que j’ai découvert des chiffres effarants sur la pollution engendrée par cette industrie et sur le gaspillage monstrueux qui en découle, je ne m’habille plus qu’avec de l’occasion », indique Emilie Gervais, 34 ans, originaire du Mans, qui partage dans un blog ses idées pour consommer mieux.