Nous sommes des chefs et cheffes d’entreprises textiles françaises, et comme tout le monde, nous voyons se matérialiser avec effroi les conséquences du dérèglement climatique : les étés deviennent caniculaires, les inondations et les incendies se font plus fréquents.
Pourtant notre industrie émet toujours plus de gaz à effet de serre. En cause, la quantité de vêtements produite qui continue à augmenter chaque année, et la fabrication majoritairement délocalisée à l’autre bout du monde, dans des usines qui tournent au gaz ou au charbon.
Une « prime au vice » que nous dénonçons »
Nous sommes des marques textiles françaises et nous essayons de faire notre part dans la lutte contre le changement climatique, mais nous constatons que nos efforts sont sans effet, si toutes les entreprises qui vendent des vêtements en France ne s’impliquent pas à la même hauteur.
Pire encore, nos engagements nous désavantagent. Aujourd’hui, plus une entreprise pollue, moins sa production lui coûte cher et plus elle est compétitive. Quand nous relocalisons, nos vêtements deviennent bien plus chers que ceux fabriqués à bas coût à l’autre bout du monde. Quand nous sortons du cycle infernal des soldes et des promotions, les « prix cassés » attirent les clients ailleurs. Quand nous ralentissons le rythme de nos collections, afin de moins pousser à la consommation, d’autres marques renouvellent les leurs toujours plus rapidement, nous prenant ainsi des parts de marché. C’est indéniable: il y a aujourd’hui un avantage économique à produire de manière irresponsable. Une “prime au vice” que nous dénonçons.
Pour un Patagonia, combien de Primark, Boohoo, Forever 21, H&M ou de Zara ?
On nous répondra que les consommateurs finiront bien par se tourner vers les marques les plus éco-responsables. Mais l’éthique pèse bien peu face à des prix cassés et des collections toujours plus vite renouvelées. Pour un Patagonia, combien de Primark, Boohoo, Forever 21, H&M ou de Zara? Dans un monde où la publicité est omniprésente, son contrôle difficile et le temps d’attention limité, le pouvoir de voter avec son portefeuille est largement insuffisant.
Pour que notre industrie fasse sa part dans la lutte contre le dérèglement climatique, il faut complètement renverser notre cadre règlementaire. C’est pourquoi nous demandons, nous jeunes marques textiles, que la loi oblige les entreprises de l’habillement, les nôtres y compris, à payer réellement les coûts environnementaux qu’elles génèrent. C’est le seul moyen de supprimer enfin la prime au vice. Nous sommes pour une concurrence non-faussée et vertueuse.
« Devant l’urgence environnementale, nous n’avons plus le choix »
D’ici quelques mois, vont être revus les critères de calcul et d’attribution de l’éco-contribution des vêtements.
Voici les principales modifications que nous demandons :
- Augmenter l’éco-contribution afin qu’elle soit vraiment incitative (elle s’élève aujourd’hui à 0,06 euro par vêtement): en 2025, il faut qu’elle atteigne 5 euros pour les marques ayant les plus mauvaises pratiques.
- L’indexer prioritairement sur les émissions de gaz à effet de serre, dont 70% proviennent de la phase industrielle, les matières premières représentant à peine 30%. Cela favoriserait par la même occasion la relocalisation de l’industrie en France où l’énergie est moins carbonée.
- Pénaliser les stratégies de forte incitation à la consommation. L’éco-contribution doit prendre en compte le renouvellement rapide des collections, les promotions systématiques ou le greenwashing avéré.
Il n’est pas courant que des entreprises demandent à ce qu’on les régule. Mais devant l’urgence environnementale, nous n’avons plus le choix.
Chacune de notre côté, nos efforts sont vains et nous desservent; mais si des règles justes s’appliquent à toutes, c’est l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de notre secteur qui pourra diminuer, sans sacrifier la santé économique des entreprises les plus vertueuses.