Le futur de la mode passe-t-il par la penderie des grands-parents ? #163

07/04/2021

Commençons par le commencement : pour répondre à la question de ce que nous porterons demain, la bonne question à se poser n’est pas « quoi ? », mais « combien ? » et la réponse ne peut être que « moins ». Ceci conditionne tout le reste. En une grosse vingtaine d’années seulement, nous nous sommes lancés dans une frénésie, dans une boulimie d’achats de vêtements dont nous ne savons que faire.

Selon le site d’observation écologique Planetoscope, 60 % des français ont des vêtements qu’ils ne portent jamais. Cela ne les empêche pas de continuer à acheter, nos armoires contenant en moyenne deux à trois fois plus de vêtements que dans les années 1980… Ne pensez pas que tout pourrait être sauvé par une seconde vie de ces pièces : sur 700 000 tonnes de textiles achetés par an en France, 160 000 sont recyclés, à peine un quart… La pandémie de Covid-19 n’aura pas amélioré les choses, au contraire, les parisiens vidant massivement leurs placards alors que les conteneurs spécifiques étaient fermés.

C’est cette pente intenable qui conditionne l’avenir, nous ne pouvons plus continuer ainsi. Dès lors que nous achetons moins de pièces, mais que nous avons pris l’habitude d’investir, nous pouvons acheter mieux à budget constant. Avec des étoffes qui durent. Exactement comme faisaient nos aïeux…à part chez Honoré de Balzac, où courtisanes comme grands bourgeois changeaient de toilettes plusieurs fois par jour, le choix entre deux tenues d’hiver et deux tenues d’été était la norme pour une majorité. Avant de changer et de racheter, on rapiéçait, coupait, ajustait et, en ultime ressort, on achetait des habits supplémentaires. Et ceci a prévalu jusque très, très récemment.

Pour Isabelle Lefort, déléguée générale de Paris Good Fashion, association visant à embarquer un nombre maximum d’acteurs de la mode dans une transition écologique forte à l’horizon des JO de 2024, tout a commencé par le haut : « La mondialisation de la mode s’est initiée par le luxe à la fin des années 1980, avec les ouvertures globales de boutiques LVMH qui inondèrent le marché mondial ce qui bouscula les imaginaires. Ensuite, Karl Lagerfeld brisa un tabou supplémentaire en introduisant un jean dans un défilé Chanel. Dans les années 1990, la généralisation de H&M et Zara a entrainé une très forte augmentation des volumes vendus et, en 2004, lorsque Lagerfeld, encore lui, signa une collection chez H&M, permettant à toutes celles et ceux qui aspirent à une mode abordable de se l’offrir, il fit basculer le marché dans une surconsommation folle, stoppée seulement par la crise du Covid. »

En effet, la fast fashion est l’une des premières victimes de la pandémie mondiale alors que, contrairement à l’aviation ou l’hôtellerie, le marché ne fut pas mis à l’arrêt par des consignes sanitaires, mais plutôt par des aspirations des consommateurs. Dès juin 2020, Zara annonçait la fermeture de 1 200 magasins, 170 pour H&M qui annonçait vouloir miser durablement sur les ventes en lignes. L’expérience de la claustration aura accéléré le goût du public pour la seconde main, lancée avec Vinted et consacrée par le rachat de Vide Dressing par Le Bon Coin, en 2018. Comme le démontre Rétro-cool, comment le vintage peut sauver le monde (Flammarion, 2018), le très percutant essai de Nathalie Dolivo et Katell Pouliquen, « la fascination pour le vintage n’est ni esthétique ni seulement nostalgique. Elle souligne une philosophie de vie guidée par le désir de sortir de la frénésie contemporaine de l’hyperconsumérisme. Loin d’être nostalgique, cette vogue est au contraire une manière hédoniste et joyeuse de s’engager. »

Article extrait de la revue MDY. Lire la suite sur Usbek & Rica