Droits humains et environnementaux : L’Union européenne s’accorde sur un devoir de vigilance, une première #825

15/12/2023

C’est un « des piliers de la création d’un système économique plus responsable », selon l’eurodéputé Pascal Canfin. Ce 14 décembre, un accord a été trouvé sur les contours du devoir de vigilance européen. Ce dernier obligera les grandes entreprises à recenser et prévenir les violations des droits humains et dommages environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne de valeur sous peine d’une sanction financière de 5% de leur chiffre d’affaires. Un accord ambitieux qui comporte toutefois une zone d’ombre : le secteur financier en est exclu.

C’est une décision « historique ». Dix ans après le drame du Rana Plaza – en 2013, plus de 1 000 ouvrières du textile sont décédées dans l’effondrement d’une usine de sous-traitance des géants de la mode au Bangladesh – l’Union européenne vient de conclure un accord majeur menant à la création d’un devoir de vigilance européen. Avec ce texte « nous rendons hommage à toutes les victimes du Rana Plaza », a plaidé Lara Wolters, l’eurodéputée rapporteure du projet au Parlement européen, lors d’une conférence de presse.

Concrètement, l’UE vient de créer un cadre unique obligeant les grandes entreprises qui opèrent en Europe à prendre en compte les droits humains et environnementaux dans l’ensemble de leur chaîne de valeur incluant ainsi les sous-traitants et fournisseurs. Un texte qui « fait de l’Union la première  puissance économique à se doter d’un tel outil et va permettre de tirer la mondialisation vers le haut sur le plan social et environnemental », s’est réjoui l’eurodéputé et président de la Commission de l’environnement, Pascal Canfin. « Que ce soit des chaussures fabriquées par des enfants, des ouvriers travaillant dans des usines peu sûres, (…) Nous avons tous entendu parler de telles pratiques. Cette nouvelle loi européenne vise à y mettre fin. »

Une « révolution juridique »

Sont concernées par cette directive toutes les grandes entreprises comptant plus de 500 salariés et un chiffre d’affaires mondial net de 150 millions d’euros. Pour les entreprises non européennes, cela s’appliquera si elles réalisent un chiffre d’affaires net de 300 millions d’euros générés dans l’UE, trois ans après l’entrée en vigueur de la directive. Les entreprises seront ainsi juridiquement responsables des violations de droits humains comme des dommages environnementaux. De même la directive oblige les entreprises à adopter un plan garantissant que leur modèle économique et leur stratégie « sont compatibles avec l’Accord de Paris sur le changement climatique ». En cas de non-conformité avec cette directive, les sanctions financières peuvent aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires net de l’entreprise.

« C’est une révolution juridique, qui permet aux victimes d’exiger réparation devant les tribunaux. C’est une vraie victoire qu’on a arrachée aux lobbys », se réjouit Manon Aubry contactée par Novethic. L’eurodéputée, qui a participé aux négociations durant près de 20h pointe cependant du doigt une faille. « Reste une ombre très importante au tableau, qui est l’exclusion du secteur financier, à la demande de la France », regrette-t-elle. La directive ne s’applique en effet pas au secteur financier, « mais il y aura une clause de révision pour une éventuelle inclusion future de ce secteur sur la base d’une analyse d’impact suffisante », indique le texte.

Selon l’Observatoire des multinationales, le lobbying mené par la plus grande société de gestion au monde, Blackrock, a poussé Bercy à exclure le secteur financier, la France désirant faire de Paris une capitale attractive pour les milieux financiers. « Il s’agit d’une exclusion incompréhensible alors que ces services sont couverts par la loi française sur le devoir de vigilance, BNP Paribas faisant d’ailleurs l’objet de deux actions en justice sur ce fondement. Dans le reste de l’UE, cette exclusion pourrait permettre aux acteurs financiers de continuer à soutenir des projets et entreprises dangereux pour l’environnement et les droits humains sans avoir à rendre de compte », dénoncent dans un communiqué commun plusieurs ONG dont Sherpa, les Amis de la Terre ou encore Reclaim Finance.

Une approche européenne commune

La France a en effet été pionnière au niveau mondial en adoptant un devoir de vigilance en 2017. Un texte nécessaire qui comporte plusieurs failles : pas de décret d’application, pas d’obligation de résultat, un cadre d’accès à la justice très faible pour les victimes, etc. Les entreprises elles-mêmes dénoncent « une grande incertitude juridique », comme La Poste qui a été partiellement condamnée sur son devoir de vigilance le 6 décembre dernier.

Le texte de l’UE comporte, lui, plus de 200 pages. Surtout, il permet « d’éviter la fragmentation et l’éparpillement dans l’UE », selon le commissaire européen Didier Reynders, pointant le « risque d’avoir différentes approches jusqu’en 2027 ». L’Allemagne et la France, les deux seuls pays à avoir actuellement adopté un devoir de vigilance divergent en effet sur le périmètre d’application et l’approche en général.  Reste encore à entériner cet accord provisoire entre le Conseil de l’UE, le Parlement et la Commission avant les prochaines élections de juin. Chaque État devra ensuite transposer la directive dans son pays.

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